Procès des policiers de la Bac : « Mince, 1 kg de dattes ! » Le brigadier accusé d’être un ripoux assure ne pas avoir volé de cocaïne

PROCES La justice s’interroge sur une étrange saisie de drogue réalisée par Karim M. en juin 2008

Thibaut Chevillard
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Procès des policiers de la Bac : Le brigadier accusé d’être un ripoux assure ne pas avoir volé de cocaïne. (Illustration)
Procès des policiers de la Bac : Le brigadier accusé d’être un ripoux assure ne pas avoir volé de cocaïne. (Illustration) — A. GELEBART / 20 MINUTES
  • Jusqu'au 12 février, huit personnes dont six policiers sont jugés dans un vaste affaire de corruption sur fonds de trafic de drogue dans le quartier de la Goutte d'Or.
  • Le brigadier Karim M. est soupçonné d'avoir organisé le racket de dealers de la Goutte d’Or, offrant la protection à ceux qui payaient « l’assurance », interpellant ceux qui refusaient.
  • Il encourt dix ans de prison et un million d'euros d'amende.

Au tribunal correctionnel à Paris,

La drogue ? Quelle drogue ? De l’importante quantité de cocaïne qui devait être saisie ce 8 juin 2018 dans le 18e arrondissement, personne n’en a vu la couleur. Lorsqu’il est arrivé au commissariat de la Goutte d'Or, Karim M. a planté sa clé dans le paquet découvert dans une voiture lors d’une opération réalisée grâce au tuyau de deux informateurs. Les deux suspects arrêtés affirmaient qu’il ne contenait que de la pâte de dattes. Le policier de la Bac a donc voulu vérifier « avant de passer pour des cons devant l’OPJ [officier de police judiciaire] ». Effectivement, aucune poudre blanche et les deux hommes interpellés étaient libérés presque sur le champ.

Pourtant, l’un des collègues de Karim M. est allé raconter à la commissaire de cet arrondissement qu’il le soupçonnait d’avoir subtilisé la drogue après l’avoir remplacé par cette spécialité du Maghreb. Il ajoutait que ce brigadier était connu pour «prendre des enveloppes» auprès des dealers du secteur depuis une dizaine d’années. L’enquête de l’IGPN – la police des polices - n’a pas tardé à révéler les errements de ce policier qui accumulait jusque-là les lettres de félicitations. Surnommé « Bylka », le kabyle en verlan, Karim M. est jugé depuis mercredi devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris pour corruption passive, trafic de stupéfiants, faux en écriture publique, blanchiment… A ses côtés sur le banc des prévenus, cinq de ses collègues et deux hommes soupçonnés d’avoir été ses complices.

Dispositif « extrêmement léger »

Sweat violet et gris, bas de jogging Adidas, Ahmad M., dit « l’Hindou », est une figure de la Goutte d’Or. Et surtout un indic privilégié du policier. Avec Abdoulaye D., il a mis Karim M. sur le coup de cette transaction de drogue. Il en a eu vent par un intermédiaire congolais originaire de Montargis, qu’il affirme ne pas connaître plus que ça. « On ne l’a jamais retrouvé », remarque la présidente, Isabelle Prévost-Desprez. Il en a parlé à Karim M., pour l’aider à faire un coup. « On s’est mis d’accord et on a pris rendez-vous » avec les dealers dans le 18e arrondissement.

Ahmad M. avertit le policier qu’il s’agit vraisemblablement d’une « quantité importante » de drogue. Sans avertir sa hiérarchie, il va mettre en place un dispositif pour récupérer les produits stupéfiants et interpeller les vendeurs. Pourtant, remarque la magistrate, « ce n’est pas dans les missions de la Bac d’intervenir sur des quantités aussi importantes ». Un service de police judiciaire aurait été plus compétent. Karim M. assure qu’il voulait simplement être « le héros du jour » et qu’il n’avait rien manigancé. Ce « n’était pas un coup d’achat », clame-t-il.

L’opération est un festival d’amateurisme. Malgré les risques, ils ne sont que trois agents pour interpeller les suspects. « Je suis surpris de ce dispositif extrêmement léger, surtout pour des gens qui n’ont pas l’habitude de ce genre d’opération », souligne la magistrate. Aucun OPJ ne se déplace ensuite pour fouiller leur voiture qui sera ramenée par Karim M. et son collègue Aaron B., également jugé. Si de la cocaïne avait été vraiment retrouvée, la procédure aurait pu largement être annulée en raison des nombreux vices de procédure, insiste la présidente.

« Mince, 1 kg de dattes ! »

Mais à 21h43 ce jour-là, devant ses collègues, Karim M. s’exclame tout haut : « Mince, 1 kg de dattes ! ». Plus tard, ll donne rendez-vous à l’un de ses deux informateurs à Barbès. « Pour lui prouver que leur plan, c’était de la carotte [de l’arnaque] », assure le prévenu. Il avait pris avec lui le paquet « pour lui faire voir car ce n’est pas commun de la pâte de dattes ». « Oui, je suis bien d’accord, ce n’est pas courant », souffle la présidente.

Olivier D., l’un des deux suspects interpellés – l’autre n’a pas été retrouvé – jure évidemment qu’il n’était pas venu à Paris dans l’idée de vendre de la cocaïne. En revanche, il soutient que les 1.200 euros qui étaient dans sa voiture ont été volés par les policiers, ainsi qu’un sac de dattes « et des gâteaux arabes aussi ».

Cet argent, « ce sont mes économies, chez moi il y a déjà eu des histoires de vol. Alors, j’ai toujours mon argent sur moi…. », dit-il plus ou moins sérieusement. « Il y a des délinquants partout », ironise la présidente. Olivier D. est actuellement en détention provisoire dans une affaire de vol. Il a aussi fait de la prison pour son implication dans un trafic de stupéfiants, en 2009. « Ça date ! »