Contrôles au faciès : Tout comprendre à l’action de groupe lancée par six ONG
DISCRIMINATIONS Autorisée par la loi depuis 2016, l’action de groupe lancée ce mercredi par six ONG françaises et internationales vise à faire cesser les contrôles au faciès
- Six ONG ont mis en demeure le Premier ministre, Eric Dupond-Moretti et Gérald Darmanin de faire cesser les contrôles au faciès.
- En France, c’est la première fois qu’une action de groupe est lancée à ce sujet.
- Le gouvernement dispose désormais de quatre mois pour répondre – ou non – aux six associations.
Un « outil révolutionnaire » pour « faire bouger les lignes ». Depuis deux ans, six ONG (organisations non gouvernementales)* travaillent pour faire cesser un « fléau » jugé « systémique » en France, celui des contrôles au faciès. Rendue possible grâce à une loi votée en 2016, l’action de groupe lancée ce mercredi par ces six associations somme le Premier ministre, le ministre de l’Intérieur et celui de la Justice à agir. Une initiative inédite qui « offre un levier pour transformer profondément la pratique policière », selon l’avocat des six ONG, Me Antoine Lyon-Caen, avocat au Conseil d’Etat et à la Cour de cassation.
Documentés, dénoncés par diverses institutions comme le Défenseur des droits ou des élus mais jamais enrayés, les contrôles d’identité discriminatoires « nuisent et sapent » le vivre-ensemble en alimentant les « préjugés » racistes a rappelé ce matin Issa Coulibaly, président de l’association Pazapas-Belleville, lors d’une conférence de presse. Qu’est-il demandé aux autorités et comment cette procédure va-t-elle se dérouler ? 20 Minutes fait le point.
Comment la procédure va-t-elle se dérouler ?
Avant l’éventuelle saisine d’un juge, les six ONG mettent en demeure ceux qu’ils jugent responsables des contrôles au faciès. Dans ce dossier, il s’agit de Jean Castex, d’Eric Dupond-Moretti et de Gérald Darmanin. « Il ne s’agit pas d’accuser un policier d’être raciste mais de dire que le système a généré, par ses règles, ses habitudes, sa culture, une pratique discriminatoire », rappelle Antoine Lyon-Caen. Une fois cette mise en demeure reçue, le Premier ministre et ses deux ministres ont quatre mois pour apporter une réponse au manquement dénoncé.
Des discussions peuvent s’ouvrir, des mesures être prises. Mais l’exécutif peut aussi décider de ne rien faire. Si c’est le cas, les organisations pourront alors saisir la justice. « Le juge peut organiser une sorte de concertation entre les protagonistes, il dispose d’une panoplie de moyens pour rendre une décision éclairée […]. Il peut interroger l’administration, entendre des témoins », poursuit l’avocat des six ONG.
Que réclament les associations ?
L’objectif affiché par les associations est clair : faire cesser les contrôles d’identité discriminatoires. Les six ONG demandent à l’Etat de mettre en place six mesures concrètes pour lutter contre cette pratique, dénoncée jusqu'au plus sommet de l'Etat. « Nous souhaitons une modification du Code de procédure pénale pour interdire explicitement toute forme de discrimination dans les contrôles d’identité », détaille Omer Mas Capitolin, directeur de la MCDS (Maison communautaire pour un développement solidaire). Pour les associations, la loi encadrant les contrôles d’identité est trop floue. Elles proposent donc « que les contrôles ne puissent être fondés que sur un soupçon objectif et individualisé ».
Elles demandent aussi un règlement spécifique pour les contrôles ciblant les mineurs, la création d’un « système d’enregistrement et d’évaluation des données relatives aux contrôles d’identité » et de « mise à disposition de toute personne contrôlée d’une preuve de ce contrôle », « la création d’un mécanisme de plainte efficace et indépendant », mais aussi la modification « des objectifs de la police, des instructions et de la formation de la police, notamment en ce qui concerne les interactions avec le public ». Enfin, les six ONG réclament la ratification par la France d’un protocole de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) sur la non-discrimination.
Y a-t-il déjà eu des précédents ?
En France, c’est la première fois qu’une action de groupe est lancée à ce sujet. Si les contrôles au faciès ont déjà été dénoncés devant les tribunaux, il s’agissait à chaque fois d’actions menées par les victimes de ces contrôles au faciès, rappelle Lanna Hollo, conseillère juridique pour l’Open Society Justice Initiative. « Il y a une décennie, nous avions soutenu une action collective menée à l’époque par 13 hommes qui demandaient réparation pour des contrôles discriminatoires. La Cour de cassation avait rendu une décision à la portée significative, reconnaissant une faute lourde », expose la juriste. Mais ces condamnations n’avaient eu qu’un faible impact sur cette pratique policière. « Des mesurettes ont été annoncées au fil des années, mais sur le terrain le problème a continué de s’aggraver », estime-t-elle.
A l’étranger, en revanche, des démarches similaires ont déjà fait leurs preuves, souligne l’avocat Slim Ben Achour : « En 2002, à Cincinnati, dans l’Ohio (Etats-Unis), un accord a été trouvé entre la ville, la police et la population. Plus récemment, à New York, une action de groupe pour dénoncer les contrôles au faciès s’est terminée devant le juge et une condamnation a été prononcée, obligeant la police à modifier ses pratiques ».
De quoi redonner confiance à Myriame Matari, avocate pour REAJI : « Malgré des éléments très documentés, malgré les expériences rapportées, malgré les vidéos, les enquêtes, les choses ne bougent pas. C’est le levier qui nous faisait défaut jusqu’à présent pour arriver à une transformation de la société. »
*Amnesty International France, Human Rights Watch, la Maison communautaire pour un développement solidaire (MCDS), Open Society Justice Initiative, Pazapas-Belleville et le Réseau – Égalité, Antidiscrimination, Justice – interdisciplinaire (REAJI)