Attentats de janvier 2015 : Le principal accusé Ali Riza Polatet et Hayat Boumeddiene condamnés à trente ans de prison
PROCES Après 54 jours de débats, la cour d’assises spéciale a rendu ce mercredi son verdict dans le procès des attentats de janvier 2015
- Depuis le 2 septembre, la cour d’assises spéciale jugeait 14 personnes, dont trois étaient absentes, soupçonnées d’avoir participé à divers degrés à l’organisation des attaques de Charlie Hebdo, de l’Hyper Cacher et de Montrouge.
- Le parquet avait requis des peines allant de cinq ans de prison à la réclusion criminelle à perpétuité.
- Tout au long du procès, les accusés n’ont eu de cesse d’assurer qu’ils ignoraient les projets des terroristes.
A la cour d’assises spéciale à Paris,
Voilà près de six ans que les trois terroristes des attentats de janvier 2015 sont morts, abattus presque simultanément par les forces de l’ordre. Mais ce mercredi, au terme d’un procès hors-norme, la cour d’assises spéciale a condamné à des peines allant de quatre ans de prison à la réclusion criminelle à perpétuité treize des quatorze personnes soupçonnées d’avoir, à divers degrés, aidé les frères Kouachi et Amedy Coulibaly dans leur funeste entreprise, la dernière ayant déjà été condamnée dans une procédure similaire. La cour a fait la distinction entre les proches de Coulibaly qui l’ont fréquenté et pouvaient donc se douter de ses projets et ceux qui ne le connaissaient pas ou très peu, raison pour laquelle elle n’a pas retenu la qualification terroriste pour six d’entre eux.
Le principal accusé, Ali Riza Polat, a été reconnu coupable de « complicité » des crimes commis au sein de la rédaction de Charlie Hebdo, à Montrouge contre la policière municipale Clarissa Jean-Philippe et dans l’Hyper Cacher. Ce Franco-Turc de 35 ans a été condamné à trente ans de réclusion criminelle, assortie d’une peine de sûreté des deux tiers. Il a eu un « rôle particulièrement actif et transversal » dans la logistique des attentats, en recherchant des armes, des véhicules ou en supervisant le retrait du traceur, a estimé le président, Régis de Jorna. En dépit de ses dénégations, la cour a estimé qu’il ne pouvait ignorer la radicalité d’Amedy Coulibaly et qu’il savait, a minima, qu’il avait été condamné dans une procédure terroriste. Quelques minutes après le procès, son avocate a annoncé son intention de faire appel.
De lourdes peines ont également été prononcées
De lourdes peines ont également été prononcées à l’encontre des proches d’Amedy Coulibaly. Mickaël Pastor Alwatik, dont l’ADN a été retrouvé sur deux armes de poing ainsi que sur un gant, a été condamné à dix-huit ans – le parquet en avait requis vingt – avec une peine de sûreté des deux tiers. Pendant le procès, il avait affirmé avoir découvert par hasard ces armes dans le coffre d’Amedy Coulibaly, rencontré en détention à la prison de Villepinte, en 2010. La cour, dans ses motivations, a estimé qu’il « connaissait l’idéologie d’Amedy Coulibaly et la partageait ».
Amar Ramdani, ami proche d’Amedy Coulibaly, également rencontré en détention, a écopé d’une peine de vingt ans de réclusion avec une peine de sûreté aux deux tiers pour « association de malfaiteurs terroriste criminelle ». Il est accusé d’avoir, avec son cousin Saïd Makhlouf, fait six allers-retours entre le nord de la France et la région parisienne pour acheminer des armes, ce que les deux hommes n’ont eu de cesse de nier, affirmant se livrer à du trafic de drogue. Des « déclarations évolutives et changeantes », selon les mots du président, qui n’ont pas convaincu la cour. Celui-ci avait « pleinement conscience » des projets d’Amedy Coulibaly même s’il n’en connaissait pas les détails. Ce qui explique, selon le président, le fait qu’il ait détruit ses puces téléphoniques après les attentats.
« Un acte logistique incontestable et déterminant dans la préparation des attentats »
La cour a, en revanche, abandonné le caractère terroriste des charges pesant à l’encontre de son cousin, Saïd Makhlouf, le condamnant à huit ans. « Il a apporté un acte logistique incontestable et déterminant dans la préparation des attentats », a précisé le président, tout en indiquant que Saïd Makhlouf, qui ne connaissait pas Amedy Coulibaly, pouvait ignorer ses projets. Conformément aux réquisitions du parquet, la cour a également condamné Mohamed-Amine Farès, l’homme auprès de qui ils se seraient approvisionnés, à huit ans pour association de malfaiteurs. Ce trafiquant de drogue notoire a toujours nié avoir versé dans le trafic d’armes.
Une lourde peine a été prononcée à l’encontre de Willy Prévost : treize ans de réclusion pour association de malfaiteurs terroriste criminelle. L’homme a reconnu avoir acquis du matériel pour le compte d’Amedy Coulibaly, notamment une voiture, des couteaux ou des gazeuses lacrymogènes, mais a toujours nié avoir eu connaissance de ses projets. Le trentenaire n’a eu de cesse de se présenter comme le souffre-douleur d’Amedy Coulibaly, et l’enquête a prouvé que ce dernier l’avait, par le passé, tabassé. Balayant cette idée, la cour a estimé que « ces explications ont été formulées très tardivement » et les faits remontent à plusieurs années. Il ne peut être établi que « Willy Prévost a pu agir sous la pression d’Amedy Coulibaly ». Le parquet avait requis dix-huit ans de prison à son encontre. En revanche, la cour d’assises a condamné son ami Christophe Raumel – le seul accusé à comparaître libre au procès – à quatre ans de prison pour « association de malfaiteurs ». Il a accompagné Willy Prévost acheter des gazeuses lacrymogènes et faire retirer le traceur mais pouvait ignorer, aux yeux de la cour, le projet terroriste.
« Aucune adhésion à une quelconque idéologie terroriste »
Les deux accusés belges, Michel Catino et Metin Karasular, ont respectivement été condamnés à cinq et huit ans d’emprisonnement, la cour ne retenant pas la qualification terroriste. Pour le premier, doyen des accusés, aucune « adhésion a une quelconque idéologie terroriste » n’a été mise en lumière : cet accro au jeu d’argent a reconnu avoir transporté un sac dans lequel ce serait trouvé deux armes mais a affirmé qu’il ignorait ce qu’il contenait, espérant juste un petit billet pour nourrir sa passion. Un murmure d’incompréhension avait d’ailleurs parcouru la salle lorsque le parquet avait requis quinze ans à son encontre. La cour a également estimé que Metin Karasular, malgré plusieurs rencontres avec Ali Riza Polat et au moins une avec Amedy Coulibaly, pouvait ignorer les intentions de ce dernier. Deux listes sur le prix du C4 ou des munitions de kalachnikov avaient été retrouvées chez lui. « Bien qu’ayant fréquenté Coulibaly, il n’est pas établi qu’il ait eu connaissance » des intentions de ce dernier, a précisé le président, rappelant que Metin Karasular s’était présenté de lui-même à la police.
Eux aussi renvoyés dans le volet d’acheminement des armes au profit des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly, les deux garagistes ardennais Miguel Martinez et son associé Abdelaziz Abbad ont été condamnés à sept et dix ans de prison pour « association de malfaiteurs ». Les avocats généraux avaient requis quinze et dix-huit ans de prison à leur encontre. S’ils avaient soulevé les « interrogations persistantes » sur le rôle joué par Miguel Martinez, ils avaient estimé qu’il avait « a minima » participé à cette recherche d’armes. Une accusation niée tout au long de l’audience par l’accusé. Ce dernier « n’ayant eu aucun contact avec Amedy Coulibaly, n’ayant aucune adhésion à une quelconque idéologie terroriste », rien ne permet de prouver qu’il ait eu connaissance des projets terroristes, a estimé la cour. Abdelaziz Abbad, déjà condamné à vingt-cinq ans de prison pour une affaire liée à un meurtre, avait laissé entendre au début de l’enquête que Saïd Kouachi avait pu se rendre à son garage pour lui demander des armes. Une hypothèse qu’il a ensuite balayé catégoriquement pendant l’instruction et à l’audience, plaidant un « droit à l’erreur ».
Lourdes peines pour les absents
Enfin, conformément aux réquisitions, deux des trois « absents » à l’audience, partis en Syrie en janvier 2015, ont été condamnés à des peines maximales : contre Mohamed Belhoucine, accusé de complicité, une peine de prison à perpétuité assortie d’une période de vingt-deux ans de sûreté a été prononcée. Hayat Boumeddiene, l’ancienne compagne d’Amedy Coulibaly, a elle écopé de trente ans de réclusion. Contrairement à Mohamed Belhoucine, probablement mort en Syrie, la jeune femme serait actuellement en fuite. « Elle adhérait depuis plusieurs années aux thèses djihadistes diffusées par l’Etat islamique », a insisté le président, rappelant son « statut particulier » au sein de l’organisation terroriste. Si la cour d’assises a été convaincue de la culpabilité de Mehdi Belhoucine, jugé pour association de malfaiteurs terroriste criminelle, les poursuites ont été abandonnées car l’homme – probablement mort en Syrie – a déjà été condamné pour la même infraction.