Violences policières : Ishaq témoigne pour la première fois après la condamnation de ses agresseurs
INFO «20 MINUTES» Tabassé dans les quartiers Nord par deux policiers, Ishaq, 18 ans aujourd’hui, raconte au nom de « toutes les victimes » son traumatisme et sa reconstruction. Ses deux agresseurs viennent d’être condamnés à deux ans de prison ferme
- En février 2018, Ishaq, 16 ans à l’époque, est passé à tabac par deux fonctionnaires de police dans une impasse du 14e arrondissement de Marseille, en plein quartiers Nord.
- Mardi, les deux agents ont été condamnés par la cour d’appel d’Aix-en-Provence à une peine lourde : deux ans de prison ferme, un an de sursis et une interdiction d’exercer.
- Pour la première fois, Ishaq a accepté de s’exprimer sur cet évènement qui a marqué son adolescence. « J’étais tellement assommé que quand j’ai ouvert les yeux, je n’ai vu qu’une image toute blanche. »
- Le jeune homme explique être traumatisé mais veut témoigner au nom des autres victimes. « Si moi je parle, peut-être que ça peut servir à d’autres qui ne parlent pas et sur qui on n’écrit pas d’articles. »
Il aura fallu deux ans et demi et une condamnation définitive pour qu’Ishaq parvienne à mettre les mots sur l’agression traumatisante dont il a été victime. Le 20 février 2018, l’adolescent n’a que 16 ans et passe les vacances scolaires chez son frère dans les quartiers Nord de Marseille. Dans la soirée, il s’éclipse quelques minutes dehors pour passer un coup de fil à sa petite amie. Alors qu’il se trouve dans une petite impasse du 14e arrondissement, il est coincé par deux fonctionnaires de police.
« Je n’ai même pas eu le temps de comprendre ce qu’il m’arrivait. J’ai senti une présence dans mon dos et j’ai reçu un coup dans la tête », explique-t-il aujourd’hui. Deux jours après la lourde condamnation prononcée en appel contre ses deux agresseurs, le jeune homme a accepté d’accorder à 20 Minutes un long entretien téléphonique. Avec le besoin, dit-il, « d’adresser un message à toutes les jeunes victimes de violences policières ».
Au début de la discussion, Ishaq reste pudique sur les séquelles laissées par cette agression qualifiée de « gratuite » par le parquet de Marseille. Elles sont pourtant lourdes, selon le rapport dressé par la médecine légale au lendemain de l’agression : de nombreuses contusions, une « fracture du plancher de l’orbite droit », un œdème du nez, des problèmes d’articulation au genou, entre autres. Parce qu’il est toujours délicat de reparler de cet épisode traumatisant, le jeune homme se concentre sur le positif. Mardi, les deux agents ont été condamnés par la cour d’appel d’Aix-en-Provence à deux ans de prison ferme, un an de sursis et l’interdiction d’exercer dans la police. Une peine particulièrement lourde pour un dossier de violences policières et « un grand soulagement » pour la victime.
« Au début, personne ne me croyait. »
« C’est un poids immense qui s’est envolé, lâche-t-il instantanément. Mais je ne dirais pas non plus que j’ai totalement repris le dessus sur ce qu'il s’est passé. Encore aujourd’hui, j’ai des flash-back qui reviennent et je revis la scène. » Ishaq explique avoir reçu des coups de pied au visage assortis de l’insulte raciste « sale arabe », et même de menaces de mort. « L’un des deux m’a dit que je devais bien me tenir car la semaine dernière il en avait tué un comme moi, et qu’il pouvait recommencer sans problème. »
Ishaq est ensuite laissé à terre par ses agresseurs. « J’étais tellement assommé que quand j’ai ouvert les yeux, je n’ai vu qu’une image toute blanche. » Son grand frère le retrouve rapidement, mais Ishaq est immédiatement confronté aux doutes de certains proches et autres membres de sa famille. « Quand j’ai raconté que c’était des policiers qui m’avaient frappé, au début, personne ne me croyait. Pareil en arrivant à l’hôpital. » L’agression a eu lieu quelques heures plus tôt seulement. Encore sonné, Ishaq va alors mettre la main, complètement par hasard, sur la pièce maîtresse du dossier : un stylo siglé du syndicat Alliance, qui porte l’ADN d’un des coupables.
« Quand ils sont partis, ils ont cassé mon portable, vidé ma sacoche au sol puis m’ont dit de ranger mes affaires, se souvient-il. Une fois à l’hôpital, en fouillant mes poches, j’ai senti le stylo ! Je ne savais même pas que je l’avais ramassé. » Au cours de l’enquête diligentée par l’IGPN (inspection générale de la police nationale), l’ADN du deuxième coupable est relevée sur la veste d’Ishaq. Encore aujourd'hui, les deux fonctionnaires condamnés continuent à nier les faits. Le jeune homme est alors persuadé d’une chose : « Sans le stylo, personne ne m’aurait jamais cru à l’arrivée. »
Un regard «changé» sur la police
Entre les deux, Ishaq a arrêté sa formation et a commencé une thérapie. « C’était très difficile, j’ai perdu toute motivation. J’allais devenir électricien, mais je n'avais plus la force d’avancer alors j’ai arrêté les cours. Aujourd’hui, je travaille de nuit comme préparateur de commande alors que j’aurais pu être diplômé. Heureusement que je suis allé voir une psychologue, c’est elle qui m’a aidé. Même si mes parents ont fini par me croire grâce au stylo, je n’osais pas me confier à eux car ils sont âgés, fatigués. Du coup, à force de garder les choses, j’avais l’impression de devenir fou. »
Dans le même temps, Ishaq commence à cultiver une défiance vis-à-vis des policiers. Il s’agit d’un sentiment nouveau, pour le jeune homme originaire de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne). « Je m’étais déjà fait contrôler par des policiers chez moi, mais ils étaient respectueux. Malheureusement, ceux qui m’ont frappé ont changé mon regard. Aujourd’hui, je ne peux plus faire la part des choses, différencier les bons et les mauvais agents, alors qu’avant ça, je n’avais jamais eu de problème avec la police. »
« Je suis le jeune qui a réussi »
Discret de nature, Ishaq souhaite s’exprimer aujourd’hui pour « dénoncer les policiers qui se font justice eux-mêmes. Pas loin de l’endroit où je me suis fait agresser, un jeune est mort l’année dernière parce qu’il venait de commettre un braquage. » Une référence à Mehdi, décédé à 18 ans et dont l'enquête vient de conclure à la légitime défense. Il poursuit : « Moi, je n’avais rien fait de mal. Mais même si tu viens de braquer, de voler ou si tu vends de la drogue, le policier devrait simplement te passer les menottes. C’est pas à lui de décider de ton sort. Mais s’il agit comme ça, c’est qu’il sait qu’en retour, tu auras peur de porter plainte. Et si moi je parle, peut-être que ça peut servir à d’autres qui ne parlent pas et sur qui on n’écrit pas d’articles », conclut-il sagement de sa voix juvénile.
Depuis son agression, Ishaq n’est jamais retourné chez son frère et ne s’est déplacé à Marseille que pour les obligations de l’enquête. Son grand frère Jamel rêve, lui, de quitter son quartier. « Je ne suis pas anti-flic, précise-t-il. Mais depuis, je fais attention à tout, surtout dans le secteur où je vis. » L’avocate de la famille, Me Linda Sennaoui, se dit « satisfaite de la décision rendue par la justice. Malgré les pressions subies, Ishaq est enfin reconnu victime. »
Notre dossier sur les violences policières
Contacté, l’avocat des deux policiers, Me Gérald Pandelon, explique se réserver encore le droit de formuler un pourvoi en cassation. Mais pour le moment, Ishaq est réconforté par les nombreux appels de soutien qu’il reçoit. « Depuis mardi, mon portable n’arrête pas de sonner. Face aux bavures policières dans lesquelles la police gagne à chaque fois, les gens me disent que moi, je suis le jeune qui a réussi à obtenir justice. »