Terrorisme : « Elle est morte ? », au procès de Tyler Vilus, une mère apprend le décès de sa fille en Irak

COMPTE-RENDU Auditionnée ce mardi, la mère d’une ex-épouse de Tyler Vilus a appris pendant l’audience le décès de sa fille en 2017 sous les bombardements à Mossoul

Hélène Sergent
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La fille du témoin auditionné ce mardi au procès de Tyler Vilus aurait été tuée lors de la reprise de Mossoul par l'armée irakienne.
La fille du témoin auditionné ce mardi au procès de Tyler Vilus aurait été tuée lors de la reprise de Mossoul par l'armée irakienne. — Fadel SENNA / AFP
  • Tyler Vilus est le premier Français accusé de meurtres commis en Syrie à comparaître devant la cour d’assises spéciale. Il est également soupçonné d’avoir dirigé sur place un groupe de combattants.
  • Ce mardi, la mère d’une des épouses de Tyler Vilus a témoigné devant le tribunal.
  • Sans nouvelle de sa fille et malgré sa collaboration avec la justice lors de l’instruction, cette femme a appris pendant son audition le décès de son enfant en 2017 à Mossoul.

Tyler Vilus avait prévenu sa belle-mère. « J’ai réponse à tout », lui a-t-il écrit en 2014 lorsqu’il communiquait par Skype avec la mère de son épouse de l’époque, Inès. Ce mardi, six ans plus tard et face à cette femme âgée de 47 ans venue témoigner à son procès, le djihadiste troyen a perdu ses mots. Si Leila D. a fait le déplacement jusqu’au palais de justice de Paris ce mardi, c’était pour raconter à la cour d’assises spéciale les liens et les relations entretenus entre sa fille et Tyler Vilus.

Partie en Syrie à l’âge de 19 ans, Inès a été la seconde épouse de cet « émir » de Daesh aujourd’hui jugé pour association de malfaiteurs terroriste criminelle, direction d’une entreprise terroriste et pour deux meurtres commis sur zone. Sans nouvelle d’Inès depuis 2017 et malgré sa collaboration avec la justice et les services de renseignement, Leila D. a appris ce matin, et face au tribunal, le décès de sa fille sous les bombardements à Mossoul.

« Elle voulait partir mais elle pouvait pas »

Cramponnée à son sac en bandoulière, Leila D. l’a confié dès le début de son audition : « Je ne sais pas pourquoi je suis là ». Laurent Raviot, le président de la cour d’assises spéciale, tente de faire le tri dans les souvenirs confus de cette mère dépassée par le parcours chaotique de sa fille en Syrie. « Vous êtes la maman d’Inès. On sait que dans ce dossier, votre fille a été mariée religieusement à M. Vilus », avance-t-il. Mais très vite, le malaise s’installe : « Je voudrais bien avoir des réponses par rapport à ma fille, je m’inquiète, depuis fin mai 2017, je n’ai plus de nouvelles », sanglote le témoin à la barre. À plusieurs reprises depuis le début de ce procès, le sort d’Inès a été évoqué. Selon les informations recueillies par la DGSI, la fille de Leila D. aurait été tuée avec son enfant lors de la chute du califat à Mossoul en Irak.

Pas à pas, Laurent Raviot tente d’abord de raviver les souvenirs de cette mère qui a alerté la police du départ d’Inès pour la Syrie dès 2013. « Au début je parlais beaucoup avec ma fille au téléphone, je sais que son premier mari l’avait foutue à la porte et qu’elle s’était remariée », explique-t-elle. Ce second époux s’appelle Tyler Vilus. Et il exerce sur Inès un contrôle permanent, raconte la mère de la jeune femme : « Il ne la laissait pas me téléphoner parce que j’étais pas dans l’islam (…) Il lui disait que j’étais une mauvaise musulmane (…) Elle m’appelait en cachette. Elle voulait partir mais elle pouvait pas », poursuit Leila D. Au tribunal, elle dit avoir senti sa fille « traumatisée par ce garçon ».

« Ma fille est morte ? »

Doucement, le président pose la question qui fait basculer l’audition : « Vous ne savez pas ce qu’est devenue votre fille ? Les services de renseignement ne vous ont pas informée ? » Leila D. répète : « Je ne sais pas où est ma fille, j’ai pas de nouvelles depuis 2017. » Acculé par le désespoir de cette mère, Laurent Raviot annonce : « D’après les renseignements qu’on a, elle serait décédée sous un bombardement avec sa fille. »

« Pourquoi vous faites ça ? Pourquoi vous prenez nos enfants ? »

S’ensuit le silence. Leila D. vacille et murmure : « Ma fille est morte ? Mais elle était enceinte de trois mois. » Elle pivote vers le box et explose face à l’accusé : « Pourquoi vous faites ça ? Pourquoi vous prenez nos enfants ? Je fais quoi moi maintenant ici ? », explose-t-elle en larmes. Sa colère déborde et au tribunal, elle demande : « Pourquoi on n’a pas fermé les frontières ? Pourquoi les mineurs partaient avec d’autres papiers ? Nous aussi on a le droit de demander des comptes ! J’ai été traquée comme une voleuse, j’ai eu des perquisitions, on m’a tout pris, on n'a jamais été de notre côté. »

Des condoléances et une entrevue

Dans la salle, le public se fige. Dans le box, Tyler Vilus se lève. Habituellement si volubile, l’homme se racle la gorge, se tait puis chuchote : « J’ai appris le décès de ma fille dans le bureau du juge d’instruction. J’ai compris ce que ça faisait de perdre un enfant. Je tiens à présenter toutes mes condoléances, même si ça ne change rien. » L’audition touche à sa fin, le président glisse à Leila D. qu’elle sera défrayée pour sa venue au tribunal et ajoute : « C’est dérisoire, je sais. »


Face à la violence de cette audition, l’avocat général à l’origine de la venue de ce témoin a tenu à réagir après une suspension. « On examine des faits graves depuis une semaine et on a probablement manqué d’humanité ce matin (…) J’étais persuadé que cette dame avait été informée au préalable de la mort de sa fille (…) Nous allons la recevoir pour lui donner des explications qu’elle est en droit d’attendre et pour qu’elle puisse commencer son travail de deuil. »