Lycéens interpellés à Mantes-la-Jolie: Pourquoi une enquête pour « torture » a-t-elle été ouverte ?
ENQUETE Le 6 décembre 2018, 151 adolescents et jeunes hommes ont été interpellés en marge de violences à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines, et forcés de s’agenouiller devant les policiers
Les images avaient été qualifiées de « choquantes » par le ministre de l’Education. Des adolescents et jeunes adultes, à genoux, mains sur la tête, tenus en respect par des policiers, parfois pendant plusieurs heures. La scène – filmée par un des fonctionnaires – s’est passée à Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines, le 6 décembre 2018. Ce jour-là, 151 jeunes, âgés de 12 à 21 ans, ont été arrêtés par les forces de l’ordre, soupçonnés d’avoir pris part à des violences en marge d’une manifestation lycéenne. La plupart n’ont écopé que d’un simple rappel à la loi. Près d’un an et demi après, une juge d’instruction a été nommée par le parquet de Nanterre (l’affaire avait rapidement été délocalisée) afin d’enquêter, entre autres, sur des accusations de « torture par personne dépositaire de l’autorité publique » et « torture sur mineur de 15 ans ».
Saisine automatique d’un juge d’instruction
« Ce fut un long chemin, cela fait un an que nous demandons à ce qu’un juge d’instruction se penche sur ces faits », s’est réjoui Me Arié Alimi, l’avocat d’un des lycéens. En décembre 2018, une enquête préliminaire avait été ouverte par le parquet de Nanterre et les investigations confiées à l’inspection générale de la police nationale (IGPN), la police des polices. Cinq mois plus tard, l’affaire avait été classée sans suite. « Le fait de retenir les personnes interpellées en position à genoux ou assise, entravées pour certaines d’entre elles, apparaît justifié par le contexte exceptionnel de violences urbaines graves et le nombre de personnes devant être conduites dans les locaux de police, nécessitant une organisation matérielle incompressible », avait alors estimé le parquet. Le conseil avait vivement critiqué, notamment dans nos colonnes, le manque d’indépendance du parquet qui s’évertue « à protéger les policiers ».
Quelques jours plus tard, le syndicat lycéen UNL puis, en décembre 2019, un des lycéens, avaient porté plainte contre X auprès du doyen des juges d’instruction de Nanterre avec constitution de partie civile pour, outre les faits de torture, « violence aggravée », « atteinte arbitraire à la liberté par personne dépositaire de l’autorité publique » et « diffusion sans son accord d’une personne identifiable menottée et mise en cause pénalement ». Cette procédure entraîne automatiquement l’ouverture d’une information judiciaire – et donc la saisine d’un juge d’instruction – pour des faits de nature criminelle.
Les faits relèvent-ils de la torture ?
C’est ce que devra déterminer l’enquête. Le périmètre de cette information judiciaire reprend précisément les termes de la plainte. En clair : si l’information judiciaire a été ouverte pour des actes de torture, c’est parce que ceux-ci sont mentionnés par le lycéen. « D’une manière générale, c’est très rare qu’au début d’une information judiciaire, on requalifie les faits. On préfère partir du plus haut pour resserrer ensuite si nécessaire », précise une source judiciaire. Les nature de l'affaire pourrait ainsi être réévaluée à la lueur des investigations.
Pour Arié Alimi, l’avocat de l’adolescent, la question de la torture ne fait néanmoins aucun doute sur le plan juridique. « Ce n’est peut-être pas la torture telle qu’on se l’imagine habituellement mais le droit européen est très précis sur cette notion : les actes de torture et de barbaries dépendent de la sensibilité de la personne. » Le conseil met en avant l’aspect psychologique du traumatisme qu’ont subi ces adolescents : certains d’entre eux sont restés plusieurs heures à genoux, mains sur la tête, dans le froid. « Ajoutez à cela que pour beaucoup, c’était la première fois qu’ils avaient à faire à la police, qu’ils ont été humiliés, ça laisse des traces », insiste l’avocat.
De nouvelles parties civiles ?
Si pour l’heure, seul un des interpellés de Mantes-la-Jolie a porté plainte, d’autres pourraient se joindre à la procédure dans les jours ou semaines à venir. « C’est encore trop tôt pour savoir combien souhaitent s’investir dans cette procédure, certains veulent tourner la page », indique l’avocat. Lui espère néanmoins que les 151 personnes interpellées ce 6 décembre 2018 seront convoquées afin d’être entendus en tant que partie civile ou témoin. « Lors de l’enquête préliminaire qui a conduit à un non-lieu, seuls trois d’entre eux avaient été entendus par l’IGPN. Quand je m’étais élevé contre cela, la procureure m’avait indiqué que c’était suffisant pour comprendre ce qu’il s’était passé ce jour-là », déplore Arié Alimi. Le confinement pourrait cependant ralentir les investigations.