Coronavirus : «C’est faux de dire » que la justice est à l’arrêt considère la présidente du tribunal de Nanterre
INTERVIEW Depuis le début du confinement, les tribunaux ont recentré leurs activités autour des affaires urgentes. A Nanterre, plus de 10.000 dossiers, au civil comme au pénal, ont été renvoyés. Entretien avec la présidente de la juridiction, Catherine Pautrat
- Avec le confinement, la justice n’est pas à l’arrêt. « Elle fonctionne, même si elle est resserrée sur l’essentiel », souligne Catherine Pautrat, la présidente du tribunal de Nanterre.
- Tous les dossiers sont en train d’être réaudiencés en fonction de leur degré d’urgence.
- Huit membres du personnel du tribunal de Nanterre ont été déclarés positifs au Covid-19
N’allez pas dire à Catherine Pautrat, présidente du tribunal judiciaire de Nanterre, dans les Hauts-de-Seine, que la justice est à l’arrêt. « C’est faux de dire cela, elle fonctionne, même si elle est resserrée sur l’essentiel », insiste la magistrate. Dès le début de la crise sanitaire et des mesures de confinement liées au coronavirus, la juridiction a établi un plan de continuité de l’activité. Objectif : assurer les urgences tout en protégeant le public et le personnel de ce palais dans lequel huit personnes ont, pour l’heure, été déclarées positives au Covid-19. Mais alors qu’une date de déconfinement est avancée, le tribunal prépare également l’avenir.
Comme chaque juridiction, vous avez mis en place dès le début du confinement un plan de continuité de l’activité pour assurer les urgences. Comment fonctionnez-vous ?
L’activité est aujourd’hui réduite à la prise en charge des contentieux essentiels, tant au pénal qu’au civil. Nous avons tous les jours au moins une audience de comparutions immédiates, parfois une seconde lorsqu’il y a beaucoup d’affaires, quand nous avons à statuer sur des situations de personnes détenues ou sur des mesures de contrôles judiciaires, qui sont pour nous des situations prioritaires. Au total, au siège, 27 magistrats sont mobilisables tous les jours – soit environ un tiers de nos effectifs – et neuf sont présents dans le tribunal. Au parquet, ils sont, selon les jours, entre cinq et sept sur place. Le reste des magistrats est en télétravail pour avancer sur leurs dossiers, que ce soit de la rédaction de jugements civils, de réquisitoires définitifs pour le parquet ou par la préparation d’interrogatoires quand la justice reprendra un cours normal.
Une attention toute particulière est-elle accordée aux violences intrafamiliales ?
Un magistrat assure chaque jour des permanences pour délivrer, si nécessaire, des ordonnances de protection aux victimes de violences conjugales. Récemment, le ministre de l’Intérieur affirmait que ces affaires avaient augmenté de 30 % mais paradoxalement, dans notre juridiction, nous en avons beaucoup moins. Nous avons, par exemple, délivré 22 ordonnances de protection depuis le début du confinement, c’est moitié moins que d’habitude. On fait le même constat lors des audiences de comparutions immédiates où nous avons moins de dossiers de ce type que d’ordinaire. Je pense que, malgré les dispositifs mis en place, les victimes ont plus de mal à se déplacer pour porter plainte. Certaines craignent peut-être aussi de ne pas avoir la possibilité, avec le confinement, de se réfugier chez des proches ou d’accéder à un logement d’urgence. Il risque d’y avoir un effet rebond après le confinement.
Et concernant des violences contre des mineurs ?
C’est exactement le même constat. En comparution immédiate, il n’y a quasiment pas d’affaires concernant des violences sur des mineurs. Il est également intéressant de noter que nous avons très peu de présentations de mineurs pour des faits de délinquance.
Avez-vous de nombreux dossiers concernant des infractions aux règles de confinement ?
Sur le premier mois de confinement, nous avons eu 28 comparutions immédiates, trois convocations par procès-verbal et cinq requêtes pénales devant le juge des enfants pour de mineurs n’ayant pas respecté les mesures de confinement. Mais la politique du parquet va évoluer dès la semaine prochaine en la matière : il y aura moins de comparutions immédiates et plus de compositions pénales. [Voir encadré ci-dessous]
Le déconfinement pourrait intervenir à partir du 11 mai. Comment préparez-vous cette transition ?
Nous n’avons pas encore reçu les grandes orientations du ministère de la Justice sur les conditions de reprise mais on commence à s’y préparer en interne avec le parquet et le directeur des greffes. Cela ressemble à une équation à plusieurs inconnues. De quelles ressources humaines disposerons-nous, entre les personnes vulnérables et celles devant s’occuper de leurs enfants avant la reprise totale de l’école ? Comment fonctionneront les transports en commun ? Cela dépendra également des mesures de protection à notre disposition, gel, gants, masques, vitrines de protection… On espère une reprise d’activité à 50 % à partir du 11 mai. On verra ensuite si on peut progressivement augmenter mais il faut tenir compte de l’agencement des locaux afin de s’assurer du respect des gestes barrière. On ne peut, par exemple, pas laisser trois personnes dans un même bureau.
« Il n’y a pas suffisamment d’ordinateurs portables pour tous les magistrats »
De très nombreuses audiences ont été renvoyées et le seront encore. Comment gérez-vous cette situation ?
Entre le 16 mars et le 11 mai, il y aura, au civil, 432 audiences renvoyées, soit 9.500 dossiers. Au pénal, nous avons compté 114 audiences renvoyées soit 705 dossiers. On est en train de revoir totalement les audiencements en fonction de l’urgence, entre les dossiers reportés, ceux fixés à partir du 11 mai et ceux qui vont arriver. Mais c’est sûr qu’après la grève des avocats qui avait totalement embolisé la justice, certains dossiers n’arriveront pas avant 2021, voire bien plus tard. Nous avions, avant le confinement, deux chambres civiles dans lesquelles les audiences étaient déjà fixées jusqu’en 2022.
Cette crise sanitaire a poussé les tribunaux à mettre en place du télétravail, des visioconférences. Pensez-vous qu’elle peut marquer un tournant dans la modernisation de la justice ?
En matière technologique, on part de très bas même si des efforts avaient été consentis ces dernières années. Rien que sur la question des ordinateurs portables : il n’y en a pas suffisamment pour tous les magistrats et les greffiers ! Or, tant qu’un vaccin n’a pas été trouvé, on court toujours le risque de nouvelles vagues de Covid. La crise a démontré l’intérêt de pouvoir fonctionner à distance. J’envisageais déjà de développer la visioconférence avec nos sept tribunaux d’instance, je suis aujourd’hui convaincue que ce sera une bonne chose.
Quelle activité au parquet de Nanterre ?
Au parquet de Nanterre, comme dans le reste de la juridiction, seules les « urgences » sont maintenues. Les enquêtes préliminaires au long cours sont – à quelques exceptions près – au ralenti, le nombre d’ouvertures d’informations judiciaires a fortement baissé… Preuve de cette accalmie, les gardes à vue ont été divisées par trois au cours du premier mois de confinement : moins d’une vingtaine par jour contre 60 à 70 en moyenne. Depuis quinze jours, le rythme est plus soutenu : entre 30 et 40. « Les deux derniers week-ends ont été chargés », note une source interne.
Mais dans ce contexte particulier, les magistrats ont dû composer avec le nouveau délit sur le non-respect du confinement et mettre en place des réponses pénales adaptées. Au début, les contrevenants sans antécédents faisaient l’objet d’un simple rappel à la loi. Seules les cas de récidive ou les personnes ayant un important casier judiciaire passaient en comparutions immédiates. Depuis la semaine dernière, les magistrats testent une réponse intermédiaire : les compositions pénales, une alternative aux poursuites néanmoins inscrite au casier judiciaire. Si les premiers jours des amendes étaient proposés aux contrevenants – ce qui ne nécessitait pas la validation d’un juge – dès la semaine prochaine d’autres mesures seront mises en place, parmi lesquelles le stage de citoyenneté.