Affaire Preynat : La « vie pourrie et merdique » des victimes évoquée lors du procès de l’ancien prêtre

PEDOPHILIE Ancien curé du diocèse de Lyon, Bernard Preynat est jugé depuis mardi devant le tribunal correctionnel pour agressions sexuelles sur mineurs survenues il y a plus de 30 ans

Caroline Girardon
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Dix parties civiles ont pu témoigner lors du procès de Bernard Preynat à Lyon.
Dix parties civiles ont pu témoigner lors du procès de Bernard Preynat à Lyon. — Konrad / Sipa
  • Le procès de Bernard Preynat s’est ouvert mardi devant le tribunal correctionnel de Lyon.
  • L’ancien prêtre est poursuivi pour agressions sexuelles sur mineurs ; des faits commis dans les années 1980 et 1990.
  • Lors de la première journée, la parole a été donnée aux victimes présumées.

Comment décrire le calvaire subi pendant des années ? Au premier jour du procès pour agressions sexuelles sur mineurs de l’ancien prêtre Bernard Preynat devant le tribunal correctionnel de Lyon, ses victimes présumées ont pris la parole. Chacune à leur tour. Parfois à huis clos pour préserver un secret difficile à révéler. Parfois en cherchant leurs mots. Jamais dans la colère malgré l’émotion livrée à la barre.

« A chaque fois, j’étais déconnecté, glacé », confesse Jean-François, 41 ans, abusé pour la première fois à l’âge de 10 ans. « Il essayait de m’embrasser et de mettre la langue mais je serrais les dents », se souvient-il. L’homme d’Eglise exigeait qu’il baisse son pantalon pour lui mettre la main sur le sexe, lui demandant en retour de lui caresser le pénis. « Parfois, en public, il levait sa jambe pour se frotter contre moi mais personne ne voyait rien », poursuit l’ancien scout de la paroisse Saint-Luc. Les agressions ont eu lieu entre 1988 et 1990 lors de camps organisés en Normandie ou en Irlande.

« Je ne supporte pas d’être touché »

Aujourd’hui, ce père de famille avoue qu’il ne « supporte pas d’être touché ». Pas même une main sur l’épaule. « Je ne peux pas aller chez le coiffeur. Je me coupe les cheveux tout seul ». Il confesse également avoir du mal à « confier ses enfants à un tiers ». « J’ai réussi à quitter les scouts sans parler de ce qu’il s’est passé à mes parents. Pour moi, c’était une question de survie », appuie-t-il.

Pierre-Emmanuel a lui essayé de parler à sa mère. Elle n’a pas compris. « Je lui ai fait payer pendant 30 ans », raconte le jeune homme, évoquant des relations passées difficiles mais aujourd’hui apaisées. « A chaque fois qu’elle me déposait, je lui en voulais, poursuit-il. Elle a été très protectrice envers moi mais cela a produit l’effet inverse ». Le petit garçon devient difficile. L’envie de se révolter. De hurler une colère qui ne pouvait s’exprimer autrement. « Ma sexualité a été compliquée après ». Son parcours scolaire a été apocalyptique. Celui de François Devaux, l’un des fondateurs de La Parole Libérée, également.

« J’ai occulté une grande partie de mon adolescence qui a été très violente et chaotique. J’ai flirté avec des choses dangereuses. J’ai minimisé mon préjudice », réalise-t-il à la barre, avouant pour la première fois avoir tenté de mettre fin à ses jours. Il en a aussi voulu à ses parents, qui ont été pourtant les premiers à écrire au cardinal Decourtray pour dénoncer ce qu’il se passait.

« Cinq minutes après, je me disais que c’était quelqu’un de bien »

Aujourd’hui, François Devaux se souvient des « fibres de la chemise » de l’ancien curé, de « son râle », de ses « palpations », de ses « fortes étreintes ». « J’avais l’impression d’étouffer. A chaque fois qu’il m’approchait, je sentais le danger ». Pourtant, comme les autres enfants, il adulait Preynat. « Cinq minutes après, je me disais que c’était quelqu’un de bien. J’étais fier d’être son préféré ».

Matthieu a également été l’un des chouchous de l’homme d’Eglise, un certain temps. Le principal intéressé dira d’ailleurs à son sujet qu’il l'« a beaucoup caressé » tout en contestant les masturbations. Orphelin de père, l’ancien scout évoque « une emprise très forte ». « Bernard Preynat représentait l’autorité. Il était impossible pour moi de remettre en cause ce qu’il faisait. En tant qu’enfant, on ne comprend pas ce qu’il nous arrive », explique-t-il à son tour. « Je n’en ai jamais parlé à ma mère car elle avait trouvé refuge dans la religion depuis la mort de mon père. Elle adorait Preynat ». Alors, pour la protéger, il n’a révélé les sévices subis qu’après son décès en 2014.

Amnésie traumatique

En face, l’ancien curé écoute attentivement mais finit par contester une partie des accusations. Comme il le fera pour Benoît, racontant la difficulté de « se soustraire à son physique ». Prenant de l’assurance au fil des heures, le prévenu dément avoir serré l’enfant contre lui au point de lui « mettre la tête au niveau du sexe » à travers son pantalon. Il évoque à la place des caresses sur le torse. « Seulement ». L’ancien scout persiste : « Je me souviens de sa respiration profonde et rauque que j’assimile aujourd’hui à du plaisir. Cela durait entre trois et cinq minutes mais pour moi, c’était une éternité ». Lui aussi a défendu son ancien mentor lorsque ses parents l’ont interrogé. Anthony a carrément oublié pendant des années ce qu’il s’était passé, victime d’une amnésie traumatique.

L’homme se présente plein de fragilité à la barre malgré son imposante carrure. La souffrance transpire dans chacun de ses mots. Depuis le lycée, il multiplie les crises de stress traumatique semblables à des crises d’épilepsie. « Je ne contrôle plus les sursauts de mon corps. Comme si mon cerveau était de la bouillie. Mes muscles se contractent et mon cœur s’arrête de battre. Et là, je tombe, expose-t-il. C’est la descente aux enfers depuis des années ». Les médecins ne sont jamais parvenus à en expliquer la raison.

« Je sais qu’il y a un lien avec ce que j’ai subi même si c’est difficile à prouver d’un point de vue médical. Je ressens exactement les mêmes sensations que lorsqu’il me touchait ». Un témoignage glaçant qui laissera Bernard Preynat sans voix, quelques minutes. « Aujourd’hui, j’ai une vie pourrie, merdique à cause d’un homme qui ne le reconnaît pas. C’est difficile à entendre ».

« J’entends mais je ne pense pas être responsable de son mal », finit par lâcher Bernard Preynat, affirmant une dernière fois qu’il ne se rappelle définitivement pas du garçonnet.