Au menu du procès de Marc Veyrat contre le guide Michelin, cheddar, foie de lotte et vanité
COMPTE-RENDU Le tribunal de grande instance de Nanterre rendra sa décision le 31 décembre prochain dans le litige qui oppose le chef étoilé au célèbre guide rouge
- Le restaurant « La maison des bois » du chef au chapeau, Marc Veyrat, a perdu sa troisième étoile en janvier 2019.
- Un « déclassement » qui a poussé le célèbre cuisinier à poursuivre en référé le guide Michelin qui exige une plus grande transparence sur les méthodes d’évaluation et le déréférencement de tous ses restaurants.
- Une procédure jugée « abusive » par l’avocat du guide, Richard Malka, qui a dénoncé à l’audience « la vanité » de Marc Veyrat et une atteinte à la liberté de critique.
Sur le pupitre face aux magistrats du tribunal de grande instance de Nanterre, un petit livre rouge en a remplacé un autre. À la place du Code civil, c’est un guide Michelin paré de post-it colorés qui trône. Ce mercredi 27 novembre, un drôle de débat à base de cheddar, de foie de lotte et de jurisprudence sur la liberté d’expression s’est tenu dans cette enceinte judiciaire. En cause : le retrait en janvier dernier de la 3e étoile attribuée au restaurant « La maison des bois », dirigée par le chef savoyard Marc Veyrat.
Jugé brutal et sans fondement, ce déclassement vaut à cette bible gastronomique des déboires judiciaires inédits. Dénonçant une « méprise » culinaire, le cuisinier encore auréolé de huit étoiles pour l’ensemble de ses établissements réclame son retrait définitif du guide et une transparence totale sur ses méthodes de notation. Une demande ubuesque et dangereuse a fustigé l’avocat du Michelin, Richard Malka, qui a exhorté les magistrats à ne pas se transformer en « juges de la vanité d’un homme ».
Le « cheddargate »
Absent à l’audience, Marc Veyrat a chargé son avocat Emmanuel Ravanas de raconter à la cour ce « terrible moment » infligé par le guide. « Il y a le sentiment douloureux que le terroir, le savoir-faire sont remis en cause alors qu’il y a manifestement une méprise », a expliqué en préambule le conseil du cuisinier. Apprenant le retrait de sa 3e étoile par téléphone quelques jours avant la publication officielle de l’édition 2019 du guide, Marc Veyrat exige dans la foulée un rendez-vous avec le patron de l’ouvrage et quelques éclaircissements.
« On va lui livrer une double explication : d’abord, le critique aurait jugé un morceau de St-Jacques trop cotonneux et ensuite, il aurait trouvé du cheddar dans son assiette », explique Emmanuel Ravanas. Inacceptable pour un restaurant de ce niveau et pour un chef revendiquant l’utilisation de produits locaux. Or selon Veyrat, il ne s’agissait ni de cheddar, ni de St-Jacques, mais d’un « plat complexe à base de beaufort, de tome et de reblochon », et d’un foie de lotte du lac Léman.
« On comprend sa rage en l’apprenant et même s’il est habitué à être évalué, comparé et noté après 50 ans de métier, il a le sentiment que la critique n’est pas juste, pire qu’elle est fautive et pas correctement fondée », a poursuivi son avocat. Un « cheddargate » imaginaire selon le conseil du Michelin, Richard Malka : « Ces propos ont été complètement inventés et il n’y a pas le moindre élément de preuve sur ces critiques faites lors de cette réunion ». D’ailleurs, souligne l’avocat, les recommandations publiées dans le Michelin ne sont jamais « critiques » mais « bienveillantes », nulle trace donc d’un éventuel loupé fromager dans la revue rédigée en 2019.
Ego et vanité
Mais la blessure infligée au restaurateur est trop profonde. L’homme au chapeau demande au guide de rendre des comptes. Non seulement il ne souhaite plus jamais apparaître dans le Michelin, mais il exige aussi la communication d’un certain nombre de pièces : les factures ou notes de frais justifiant le passage d’un critique en 2018 et 2019, une grille des méthodes d’évaluation des restaurants, des comptes rendus de réunions éventuelles et les noms, expériences professionnelles et diplômes des inspecteurs du Michelin passés dans son établissement.
Une demande abusive a estimé l’avocat du guide. « Le fait de compter parmi les 85 meilleurs restaurants français serait une critique qui ouvrirait à la réparation ? (…) Il ne peut pas être soumis à la critique dans le Michelin mais pourrait rester dans le Gault et Millau ? Il pourrait choisir qui le critique et qui ne le critique pas ? La vanité et l’ego démesurés ne sont pas des droits inaliénables, vous n’êtes pas le juge des vanités des hommes ! », a taclé Richard Malka.
La boîte de Pandore
Pointant l’attestation par constat d’huissier, qui établit bien le passage en 2018 comme en 2019 d’un critique gastronomique du Michelin à la « Maison des bois », le guide réclame désormais 30.000 euros de dommages et intérêts. « Pourquoi devoir fournir en plus des preuves avec leurs noms ?, a interrogé Richard Malka, s’il n’y a plus d’anonymat, il n’y a plus de critique gastronomique possible ! »
Pire selon l’avocat, répondre favorablement à la demande de Marc Veyrat porterait atteinte à la liberté d’expression et la liberté de critique : « Si un juge vient à dire qu’accorder deux étoiles au lieu de trois à Marc Veyrat mérite réparation, tout le monde va vouloir vous saisir. L’auteur qui n’a pas obtenu le Goncourt va exiger de savoir comment il a été noté, comme les hôpitaux ou les universités qui chaque année figurent dans des classements. Ce serait ouvrir la boîte de Pandore ! »
Une boîte de Pandore qui, peu à peu, se remplit puisque le 15 novembre dernier, un autre chef a emboîté le pas de Marc Veyrat. Comme son homologue français, le chef coréen Eo Yun-gwon, propriétaire du restaurant italien Ristorante Eo à Séoul (Corée du Sud), a annoncé qu’il portait plainte contre le guide gastronomique jugé « opaque » et « subjectif » et qu’il ne souhaitait plus apparaître dans l’ouvrage.
A Nanterre, le tribunal se laisse désormais un mois pour digérer l'affaire. Sa décision sera rendue le 31 décembre prochain.