Quel impact la condamnation en diffamation de Sandra Muller peut-elle avoir pour le mouvement #Balancetonporc ?

DIFFAMATION La justice a condamné la journaliste à l’origine du mouvement #Balancetonporc pour diffamation

Hélène Sergent
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La journaliste Sandra Muller, à l'origine du mot-clé #Balancetonporc, a été condamnée pour diffamation.
La journaliste Sandra Muller, à l'origine du mot-clé #Balancetonporc, a été condamnée pour diffamation. — JACQUES DEMARTHON / AFP
  • Le tribunal de Paris a condamné Sandra Muller pour diffamation à 15.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral.
  • Elle était poursuivie par Éric Brion, l’homme qu’elle avait accusé publiquement sur Twitter d’avoir tenu des propos sexistes à son encontre.
  • Elle dénonce, à travers cette condamnation, une procédure « bâillon » pour les femmes qui souhaitent dénoncer le sexisme dont elles sont victimes.

Le 29 mai dernier, la justice française s’est penchée pour la première fois sur l'émergence du mouvement #Balancetonporc, né sur Twitter. Poursuivie en diffamation par Eric Brion, ex-patron de la chaîne Equidia qu’elle accusait de harcèlement sexuel, la journaliste  Sandra Muller a été condamnée ce mercredi à une peine de 15.000 euros de dommages et intérêts au titre du préjudice moral subi par Eric Brion.

Devenue malgré elle le symbole de la libération de la parole des femmes, Sandra Muller a dénoncé, au cours d’une conférence de presse, une procédure «bâillon». La justice, dans sa décision rendue ce jour, a estimé qu’aucun élément ne permettait de caractériser les faits de harcèlement sexuel décrits dans le message posté le 13 octobre 2017 par la journaliste. Comment analyser cette décision de justice et quel peut être l’impact véritable de cette condamnation pour la suite du mouvement ? 20 Minutes fait le point.

Un message clair envoyé aux femmes

Sandra Muller en est convaincue, sa condamnation va désormais contraindre les femmes au silence. « C’est une procédure destinée à faire taire les victimes qui pourraient parler, une procédure qui pourrait couper les ailes des victimes qui ont parlé, de toutes celles qui voudront parler. Le message envoyé est clair, c’est “taisez-vous”. Je trouve ça dommage », s’est-elle émue ce mercredi après-midi dans les locaux du cabinet de son avocat Francis Szpiner. Mais que dit exactement la 17e chambre dans sa décision ?

Les magistrats ont estimé que le harcèlement n'était pas caractérisé pour plusieurs raisons. Eric Brion n’était pas le supérieur hiérarchique de la jeune femme, il n’y a pas eu de caractère répété dans les propos déplacés tenus par le plaignant et aucune preuve n’a été apportée sur la véracité des propos tenus et cités dans le tweet de Sandra Muller : « Tu as des gros seins. Tu es mon type de femme. Je vais te faire jouir toute la nuit. »

Comme sa cliente, Francis Szpiner estime que cette décision « hors sol » ne sera pas sans conséquence pour le mouvement de libération de la parole des femmes : « C’est une décision qui est de nature à faire réfléchir celles qui veulent parler. Et quand vous êtes victime, vous n’avez pas forcément une réaction froide et rationnelle, vous n’avez pas forcément la prudence et la sérénité. »

 « Je souhaite que les femmes parlent »
Contacté par 20 Minutes, l’ancien patron d’Equidia à l’origine des poursuites évoque de son côté un « immense soulagement » et réfute toute volonté de faire taire Sandra Muller. « Ce n’est pas une procédure bâillon. Si ça l’était, cela voudrait dire qu’elle ne pourrait pas s’exprimer. Or elle continue de le faire. Je souhaite que les femmes parlent, que ça continue mais pas en mentant ou en blessant. Moi, j’ai été balancé sur les réseaux sociaux, et je n’ai pas pu me défendre », souligne Eric Brion.
Pour la pénaliste engagée dans la défense des droits des femmes, Anne-Sophie Laguens, il faut en effet nuancer la portée de cette décision. « Je ne crois pas que cela aura pour effet de décrédibiliser le mouvement, même si beaucoup sauteront sur l’occasion pour le faire. Mais elle souligne toutefois une chose importante. On est aujourd’hui tenté de s’exprimer très vite sur les réseaux sociaux. Or le premier terrain à investir quand on est victime de harcèlement, c’est le terrain judiciaire, le cabinet d’avocat, le commissariat de police ou le terrain associatif ».
Malgré ce revers, Sandra Muller assure aujourd’hui ne rien regretter : « Cette décision n’enlève rien au fait que la parole des femmes s’est libérée​, vous devez continuer à parler, vous devez continuer à dénoncer ces comportements répréhensibles, quels qu’ils soient, la peur ne doit pas gagner, elle doit changer de camp et je continuerai à me battre sur cette question ».
Elle a d’ores et déjà fait savoir qu’elle ferait appel de cette condamnation.