Relaxe des « décrocheurs » à Lyon : La décision du juge est-elle vraiment « historique » ?

DROIT DE L'ENVIRONNEMENT Un juge lyonnais a estimé que l’urgence climatique invoquée par les prévenus était un « motif légitime » au décrochage du portrait d’Emmanuel Macron

Hélène Sergent
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Le portrait d'Emmanuel Macron avait eu lieu en février dernier à la mairie du 2e arrondissement de Lyon.
Le portrait d'Emmanuel Macron avait eu lieu en février dernier à la mairie du 2e arrondissement de Lyon. — ALLILI MOURAD/SIPA
  • Ce lundi, le tribunal correctionnel de Lyon a relaxé deux militants qui avaient décroché le portrait du président de la République dans la mairie du 2e arrondissement de Lyon en février.
  • Ces deux militants écologistes, poursuivis pour « vol en réunion » souhaitaient dénoncer la politique gouvernementale en matière de lutte contre le réchauffement climatique.
  • Le juge a décidé de les relaxer, estimant que « face au défaut de respect par l’État d’objectifs pouvant être perçus comme minimaux dans un domaine vital, le mode d’expression des citoyens en pays démocratique ne peut se réduire aux suffrages exprimés lors des échéances électorales ».

Il aura fallu moins de 24 heures au parquet pour faire appel de cette décision. Ce lundi, le juge Marc-Emmanuel Gounot est peut-être entré dans l’Histoire judiciaire française en décidant de relaxer deux prévenus poursuivis pour « vol en réunion ». Jugés pour avoir décroché le portrait du président de la République en février dernier à la mairie du 2e arrondissement de Lyon, les deux militants écologistes n’ont écopé d’aucune condamnation.

Au-delà du seul jugement, les motivations invoquées par le juge dans sa décision sont inédites. S’il reconnaît que « l’infraction de vol est matérialisée », il a estimé que face à l’inaction climatique de l’Etat pointée par les prévenus et démontrée par des éléments scientifiques, les citoyens se devaient d'« inventer d’autres formes de participation dans le cadre d’un devoir de vigilance critique ». Un moyen de juger légitime  le décrochage des portraits d’Emmanuel Macron, prôné par plusieurs collectifs écologistes.

  •  Qu’a dit le juge exactement ?
     

Dans cette décision consultée par 20 Minutes, le magistrat reconnaît effectivement que l’infraction de vol est caractérisée. Mais l’infraction n’est pas le seul élément pris en compte par le juge. Au contraire. En préambule de son jugement, il explique que les prévenus et leurs avocats ont plaidé la relaxe « au nom d’un état de nécessité légitimant un acte délictueux proportionné à l’éloignement d’un danger grave et imminent ».  « L’état de nécessité », intégré au Code pénal depuis le XIXe siècle, permet de juger quelqu’un pénalement « non responsable d’une infraction si elle est commise face à un danger actuel ou imminent et si c’est un acte nécessaire à la sauvegarde d’une personne ou d’un bien ».

La logique avancée par les militants est simple : le péril représenté par le changement climatique est tel et l’inaction de l’Etat si forte qu’ils nécessitent des  actions de désobéissance civile, à savoir ici le décrochage du portrait d’Emmanuel Macron. Une logique à laquelle le juge lyonnais a visiblement adhéré puisqu’il écrit dans sa décision :

« Face au défaut de respect par l’État d’objectifs pouvant être perçus comme minimaux dans un domaine vital, le mode d’expression des citoyens en pays démocratique ne peut se réduire aux suffrages exprimés lors des échéances électorales mais doit inventer d’autres formes de participation dans le cadre d’un devoir de vigilance critique ; des messages à l’adresse du gouvernement peuvent ainsi être diffusés au moyen de rassemblements dont les organisateurs et les autorités s’efforcent de limiter le trouble à l’ordre public »

Et le magistrat va plus loin. Dans son jugement, il estime que le décrochage des portraits d’Emmanuel Macron résulte aussi d’un « dialogue impraticable entre le président de la République et le peuple ».

  •  Est-ce courant ?
     

Non. C’est la raison pour laquelle cette décision a largement surpris, au-delà des seuls cercles militants. « Sur les questions environnementales, c’est la première fois qu’on a une jurisprudence sur "l’état de nécessité" climatique. En 2016, une décision de la chambre criminelle de la cour de Cassation a considéré – a contrario – que la destruction de plantations OGM commise par des militants n’avait pas été commise face à un danger imminent », recontextualise Laura Monnier, juriste pour Greenpeace France.

« C’est une décision historique » s’enthousiasme Marie Toussaint, juriste en droit international de l’environnement et présidente de « Notre affaire à tous ». « Elle l’est pour trois raisons. D’abord, la justice reconnaît que la protection de la planète est vitale et essentielle pour la liberté et les droits des citoyens. Ensuite, le juge reconnaît clairement les manquements de l’Etat en matière de politique environnementale. Enfin, il légitime les actions de désobéissance civile », analyse la militante.

  •  Le juge est-il dans son rôle ?
     

Sur les réseaux sociaux, beaucoup d’internautes se sont étonnés de cette décision, estimant que le juge avait fait part d’un certain militantisme et non d’impartialité comme l’exige sa fonction. Invitée ce mardi matin sur le plateau de France 2, la ministre de la Transition écologique Elisabeth Borne a qualifié la décision de « cas isolé » avant d’ajouter : « Je pense que franchement des comportements inciviques ne méritent pas d’être encouragés par des décisions de ce type ».


Pour la juriste Laura Monnier, le magistrat est resté dans son rôle : « Un juge apprécie chaque affaire au cas par cas. Quand les prévenus plaident l’état de nécessité c’est comme la légitime défense. Pour l’analyser, le magistrat doit se pencher sur les circonstances matérielles de l’infraction et sur tous les faits justificatifs ». En bref, les militantes estiment qu’un juge n’a pas seulement vocation à faire appliquer le droit, il peut aussi l’écrire.


« Des règles naissent régulièrement de la jurisprudence. Sur les questions climatiques, de nombreux juges prennent à travers le monde des décisions ambitieuses pour protéger le climat et l’environnement. Il me semble normal qu’ils reconnaissent que le changement climatique relève d’une question de justice et qu’ils s’en saisissent », poursuit Marie Toussaint.

  •  Qu’est-ce que ça peut changer ?
     

Concrètement, pas grand-chose et pour plusieurs raisons. Le parquet a immédiatement fait appel de cette décision. Certes les prévenus pourront toujours se pourvoir en Cassation s’ils sont condamnés en appel, mais la portée du jugement en première instance serait amoindrie. Ensuite, sur la question de l’inaction climatique, la jurisprudence est encore balbutiante et les décisions varient d’un tribunal à l’autre.

« Les juges judiciaires ou administratifs doivent s’aligner sur ces questions-là. Sur le même sujet, d’autres tribunaux ont eux condamné des décrocheurs de portrait alors que les arguments avancés par leurs avocats étaient les même qu’à Lyon », souligne Laura Monnier.