Dehors les citoyens ! Des cours criminelles vont expérimenter les procès sans jurés populaires
DROIT Pour la première fois, ce jeudi, une juridiction va juger un homme accusé de tentative de viol sans l’aide de citoyens chargés de rendre la justice « au nom du peuple français »
- Sept départements vont expérimenter les procès criminels sans jurés populaires.
- Ce jeudi, un homme va être jugé pour tentative de viol par des magistrats uniquement.
- Le but est de réduire les délais de jugement alors que les cours d’assises sont engorgées.
Il y a ceux, rares, que ça amuse. Ceux que ça angoisse. Mais surtout ceux que ça émeut et marque à jamais… Chargés de juger les accusés de crimes « au nom du peuple français », les jurés d’assises sont désormais en sursis. Pour la première fois, ce jeudi, une juridiction va en effet examiner un crime sans l’aide d’un jury populaire, comme le prévoit pourtant le Code de procédure pénale.
En temps normal, six « Monsieur et Madame Tout-le-Monde » auraient été tirés au sort à partir des listes électorales pour rendre la justice aux côtés de trois juges. Mais, ce matin à Caen (Calvados), ce sont uniquement cinq magistrats professionnels qui vont passer sur le gril un homme de 36 ans accusé de tentative de viol afin de déterminer s’il est coupable, ou non.
Baptisé « cour criminelle », ce nouveau tribunal va être expérimenté pendant trois ans dans le Calvados comme dans six autres départements (Ardennes, Cher, Moselle, Réunion, Seine-Maritime, Yvelines). Il est donc chargé de juger les crimes punis de 15 à 20 ans de réclusion, principalement les viols et les vols à main armée. Le but ? Répondre à l’engorgement des cours d’assises et réduire les délais de jugement. Illustration à Caen où le verdict sera rendu en fin de journée ce jeudi, ce qui n’aurait pas été possible devant une cour d’assises classique.
« Certains jurés font parfois prévaloir l’émotion… »
Annoncé de façon surprenante en mars 2018, ce dispositif a entraîné une levée de boucliers chez les avocats, viscéralement attachés au côté « populaire » de la justice. « La seule motivation, c’est d’arriver à juger dans des délais raisonnables, lâche ainsi Christian Saint-Palais, président de l’association des avocats pénalistes. Mais la solution qui a été trouvée est un pis-aller médiocre qui fait fi de la qualité qu’on attend de la justice ! »
Désignée pour défendre l’homme accusé de tentative de viol à Caen, ce jeudi, Sophie Lechevrel estime, elle, qu’il faut laisser sa chance à ces nouvelles cours. « Avec mon client, nous avons fait ce choix car il y a un côté un peu rassurant à être jugé par des magistrats professionnels, justifie l’avocate caennaise auprès de 20 Minutes. Les jurés populaires ne sont pas formés au droit. Certains ne connaissent rien et font parfois prévaloir l’émotion. Je trouve que c’est problématique… »
Sans doute parce qu’ils n’ont, bien souvent, que cette « émotion » pour se forger une intime conviction. Lors d’un procès d’assises classique, le principe qui prévaut est celui de l’oralité des débats. Les citoyens peuvent prendre des notes mais n’ont que les déclarations faites lors du procès pour se faire une idée de la culpabilité de l’accusé. Dans les nouvelles cours criminelles, les magistrats disposeront, eux, du dossier judiciaire comportant les auditions, expertises et analyses de toute l’enquête au moment de délibérer.
Juger les viols pour ce qu’ils sont vraiment
Comme Jacques Toubon l’avait déjà envisagé en 1996 et Michèle Alliot-Marie en 2010, Nicole Belloubet a sans doute opté pour cette expérimentation pour une autre raison. Aujourd’hui, de très nombreux « viols » sont requalifiés en simples « agressions sexuelles » afin d’être jugés plus rapidement devant un tribunal correctionnel. Et tant pis si la peine encourue est moins lourde !
Avec les cours criminelles, le ministère de la Justice espère donc pouvoir faire juger les viols pour ce qu’ils sont vraiment. Ainsi, si le principe est généralisé au terme de l’expérimentation, environ 57 % des 2.000 affaires qui passent chaque année aux assises, seront, à l’avenir, jugées sans l’aide des citoyens.