Affaire de viol au 36: «Je veux raconter publiquement ce qu'ils m'ont fait»

PROCES Emily S., une Canadienne de 38 ans qui accuse deux policiers de la BRI de l’avoir violée, a longuement répondu, ce mercredi, aux questions de la cour et des avocats de la défense…

Thibaut Chevillard
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Emily S. affirme avoir été violé par deux policiers dans leur bureau du quai des Orfèvres (illustration)
Emily S. affirme avoir été violé par deux policiers dans leur bureau du quai des Orfèvres (illustration) — JOEL SAGET / AFP
  • Emily S., une Canadienne de 38 ans, accuse deux policiers de la BRI de l’avoir violée en 2014.
  • S’ils reconnaissent avoir passé la soirée avec elle, Nicolas R. et Antoine Q. nient l’avoir agressée.
  • Les deux hommes comparaissent depuis lundi devant la cour d’assises de Paris.
  • Ils encourent 20 ans de réclusion criminelle.

« Qu’attendez-vous de ce procès ? » demande l’avocat général, Philippe Courroye. « J’ai laissé partir ma colère depuis longtemps, je veux affronter ces hommes, je veux raconter publiquement ce qu’ils m’ont fait, qu’ils sachent l’impact que ça a eu dans ma vie. Je veux fermer ce chapitre de ma vie et aller de l’avant. » Pendant plus de 4 heures, avec force et détails, Emily S., 38 ans, a raconté à la barre le viol que lui auraient fait subir, dans la nuit du 22 au 23 avril 2014, Nicolas R. et Antoine Q., deux policiers de la BRI. La jeune femme, particulièrement émue, a dû répondre ce mercredi aux questions de la cour et des avocats de la défense qui ont tenté d’éclaircir certains points et de la mettre face à ses contradictions.

Il y a un peu plus de quatre ans, cette grande brune aux cheveux courts, tatouée dans le dos et portant des lunettes, a passé une soirée au « Galway », un pub irlandais situé face au quai des Orfèvres, à Paris. A l’intérieur, une dizaine d’agents de la BRI, avec qui cette touriste canadienne flirte et boit des verres d’alcool. Au détour d’une conversation, l’un d’eux lui propose d’aller voir son bureau, dans le mythique siège de la police judiciaire parisienne. Pour elle, ce bâtiment ne représente rien de spécial. Un « commissariat » comme un autre. Un lieu dans lequel il y aura sans doute du monde et dans lequel elle pourrait être en sécurité. Car pour l’instant, elle est trop « ivre » pour rentrer à son hôtel, pourtant situé à quelques minutes à pied du bar.

« Il y a eu des caresses mais pas plus »

Au cinquième étage du bâtiment situé de l’autre côté de la Seine, dans l’un des bureaux de l’antigang, deux hommes lui servent un grand verre de scotch. « Ce sont les accusés », assure-t-elle à l’avocat général tout en désignant les deux hommes, assis sur des chaises à quelques mètres d’elle. En larmes, elle raconte ensuite ils l’ont violé à plusieurs reprises. En les suivant cette nuit-là, elle n’envisageait pas d’avoir une relation sexuelle avec eux. « Pouvaient-ils avoir un doute sur votre consentement ? » lui demande le célèbre magistrat. « Je ne pense pas », répond-elle, soulignant qu’elle est « très consciente » de la gravité de ses accusations.

-Avez-vous l’impression d’avoir été contrainte ?
-Oui
-D’avoir été prise au piège ?
-Oui
- Vous dites que vous avez été plaquée contre le bureau, mais le médecin n’a pas constaté de traces sur votre visage, comment l’expliquez-vous ?
- Je ne sais pas, je ne suis pas médecin.
-Selon vous, il y avait combien d’agresseurs ?
-Trois
-Dont deux que vous avez identifié formellement ?
-Oui

Philippe Courroye lui fait remarquer qu’une serveuse du pub l’avait entendu dire qu’elle avait spontanément fait une fellation à Nicolas R.. « Je ne pense pas que cela soit vrai. » Il lui demande également si, durant son séjour à Paris, elle a eu « des relations sexuelles complètes à Paris avec d’autres personnes ». « Non. J’ai rencontré un Américain au "Galway" qui m’a proposé d’aller dans un parc écrire de la poésie. Nous nous sommes embrassés, il y a eu des caresses mais pas plus », souffle-t-elle. Avant de reconnaître une « pénétration digitale ». « Ce n’est pas une intrusion dans votre vie privée madame, je demande parce qu’il y a une trace ADN qui reste encore inconnue », tient à souligner l’avocat général.

« C’est une question piège »

De retour de la pause déjeuner, c’est au tour des avocats de la défense de questionner sans ménagement la plaignante. Maître Schapira, l’avocat de Nicolas R., l’interroge à son tour sur les déclarations de la serveuse du « Galway », qui devrait être interrogée lundi prochain par la cour. « Je ne l’ai pas dit », clame une nouvelle fois Emily S. « Vous avez dit avoir échangé des bises avec ces messieurs au "Galway". Vous n’avez pas embrassé qui que ce soit sur la bouche ou avec la langue ? » enchaîne le pénaliste. « Pour autant que je m’en souvienne, non. »

-Donc on ne peut pas voir des vidéos de vous embrasser tel ou tel dans le cou ?
-C’est une question piège, je ne la comprends pas vraiment. Lorsque vous évitez un baiser, vous pouvez effleurer la base du cou.

Elle affirme également n’avoir jamais embrassé sur la bouche Antoine Q., contrairement à ce que le policier de 40 ans avance. Maître Schapira a du mal à comprendre pourquoi, au lieu de suivre les accusés, elle n’est pas rentrée à son hôtel, place de l’Odéon, à une quinzaine de minutes à pied du pub irlandais. « Je m’étais déjà perdue dans ce quartier où beaucoup de rues se croisent », insiste Emily S.. La jeune femme assure ne pas avoir pris de taxi car elle n’avait pas de liquide sur elle.

- Vous auriez pu tirer de l’argent ?
- Lorsque je suis ivre je ne vais pas retirer de l’argent.
- Mais vous étiez avec un policier des forces spéciales.

Maître Compoint, l’avocate d’Antoine Q. s’avance vers la barre. « Vous vous souvenez de moi ? » demande-t-elle à la plaignante, épuisée. « Oui, vous m’avez fait pleurer », rétorque cette dernière. « Ça s’est mal terminé entre nous » lors d’une précédente confrontation organisée par le juge d’instruction, confirme l’avocate du policier, sourire aux lèvres. Maître Compoint observe qu’Emily S. confondait, jusqu’à ce mercredi, les deux accusés. « Je ne sais pas qui a fait quoi. Est-ce que vous sauriez, vous ? » lui demande, énervée, la Canadienne. « J’essayerais, oui madame, d’être sincère », lâche la robe noire. Suscitant la colère de Me Stasi. « Parce que vous croyez qu’elle est insincère ? C’est une partie de plaisir pour elle… »

« On en consomme comme des bonbons »

« J’ai encore quelques questions », poursuit maître Compoint. Elle demande à la plaignante si Antoine Q. a essayé de l’embrasser lorsqu’ils sont allés acheter des cigarettes ensemble (« Oui, il m’a poussé contre un mur »), si elle a eu des « douleurs dans le sexe » lorsqu’elle a été violée (« Oui, lorsque je me débattais »), et si elle prenait des antidépresseurs à cause de problèmes psychologiques (« Aux Etats-Unis, on en consomme comme des bonbons »). Elle lui demande enfin pourquoi, durant l’instruction, elle a refusé de donner un de ses cheveux afin qu’il soit expertisé. « Parce que je suis la victime », assure Emily S.. Cette demande lui avait paru « déplacée », voire « illégale ».


Jeudi, la cour questionnera plusieurs experts qui ont examiné et analysé les vêtements et les prélèvements effectués sur Emily S.. Le procès d’Antoine Q. et Nicolas R. doit se tenir jusqu’au 1er février. Les accusés encourent 20 ans de prison.

Suivez la suite de ce procès sur le compte Twitter de notre journaliste : @TiboChevillard

 

20 secondes de contexte

20 Minutes a décidé d'anonymiser les policiers mis en cause dans cette affaire car, bien qu'ils soient aujourd'hui suspendus de leurs fonctions, ils peuvent, en tant qu'ex-membre de la BRI, être couverts par l'arrêté du 7 avril 2011 relatif au respect de l'anonymat de certains fonctionnaires de police.