Gap: L'aide aux migrants, question centrale du procès des «3+4» de Briançon
PROCES Ce jeudi, le tribunal correctionnel de Gap examinera le cas de sept militants suspectés d’avoir permis l’entrée de migrants fin avril dans les Hautes-Alpes…
L’affaire avait mobilisé bien au-delà des frontières du petit département des Hautes-Alpes, jusqu’à s’inviter en Grèce, où des anarchistes avaient signé sur les murs extérieurs de l’Institut français d’Athènes des slogans réclamant « la liberté » pour les prévenus.
Sept personnes comparaissent ce jeudi devant le tribunal correctionnel de Gap. Surnommés « les 3+4 de Briançon », les prévenus sont accusés d’avoir permis l’entrée de migrants fin avril à la frontière franco-italienne. Qui sont-ils ? Que risquent-ils ? 20 Minutes fait le point sur les enjeux d’un procès hautement politique avec, pour toile de fond, la délicate question de l’afflux de migrants dans le département.
Quels sont les faits ?
Le 22 avril, près de 150 militants antifascistes avaient franchi la frontière franco-italienne par les pistes de ski du col de Montgenèvre avec une vingtaine de migrants africains. Après de brefs heurts avec les forces de l’ordre, le rassemblement avait rejoint Briançon sous escorte. Pour le collectif « Tous Migrants » qui vient en aide aux réfugiés dans la région, cette manifestation « pacifique » répondait « spontanément » aux « provocations haineuses et dangereuses d’un groupuscule suprémaciste ayant bloqué depuis la veille, le col de l’Échelle ».
La veille en effet, une centaine de militants d’extrême droite de Génération identitaire, agissant sous la bannière du mouvement « Defend Europe », avaient bloqué ce col frontalier voisin pour marquer leur hostilité à l’entrée de migrants. Ils avaient mené des « patrouilles » dans les vallées de la région et matérialisé la frontière entre la France et l’Italie, à l’aide d’une barrière en plastique.
Les cols séparant la France de l’Italie sont devenus ces derniers mois une nouvelle voie de passage pour les migrants, non sans danger. Le département des Hautes-Alpes se retrouve en conséquence exposé à une augmentation inédite du flux migratoire. Ainsi, selon les statistiques fournies par la préfecture des Hautes-Alpes, entre 2016 et 2017, le nombre de personnes en situation irrégulière interpellées dans le département par les forces de l’ordre, a été multiplié par six.
Qui sont les prévenus ?
Parmi les prévenus figurent Eleonara, une Italienne, et deux Suisses, Théo et Bastien, âgés de 23 à 27 ans. Surnommés « les 3 de Briançon », ils avaient été les seuls poursuivis dans un premier temps et incarcérés pendant dix jours aux Baumettes. Le 31 mai, le tribunal correctionnel de Gap avait levé leur placement sous contrôle judiciaire.
Quatre autres personnes ont été ensuite placées en garde à vue en juillet dernier, et sont appelées à comparaître également ce jeudi. Il s’agit d’une femme et de trois hommes âgés de 22 à 51 ans, « connus pour être des militants dans les Hautes-Alpes », explique à 20 Minutes, Me Yassine Djermoune, avocat de Théo.
Que leur reproche la justice ?
Les sept prévenus sont poursuivis pour « aide directe ou indirecte en bande organisée à l’entrée irrégulière d’étrangers sur le territoire national » et encourent des peines de dix ans de prison et de 750.000 euros d’amende.
Un premier procès devait se tenir en mai dernier, mais il avait été renvoyé après trois heures de débats politiques intenses sur la question de l’aide aux migrants. La justice avait notamment souhaité temporiser dans l’attente d’un avis du Conseil constitutionnel, qui avait été saisi à la mi-mai sur la question du « délit de solidarité », ainsi que le qualifient les militants.
En juillet, les sages avaient finalement souligné qu’au nom du « principe de fraternité », une aide désintéressée au « séjour » irrégulier ne saurait être passible de poursuites. Toutefois, l’aide à « l’entrée », comme c’est le cas dans ce dossier, reste illégale. Une décision « moyennement satisfaisante », selon Me Yassine Djermoune. « Mais le principe de fraternité, c’est le fait d’aider à l’entrée sans contrepartie, ce qui est le cas ici », affirme l’avocat de Théo.
Que compte plaider la défense ?
« Nous allons bien entendu plaider la relaxe, indique à 20 Minutes, Me Henri Leclerc. L’infraction d’aide à l’entrée irrégulière n’est pas constituée. » « Comment les policiers ont-ils pu déduire que les personnes avec mon client étaient en situation irrégulière ?, s’interroge Me Yassine Djermoune. Il n’y a pas d’indice apparent, si ce n’est leur couleur de peau… Et c’est cela qui a conduit aux interpellations. C’est choquant et extrêmement dérangeant : on part du postulat que les personnes noires sont étrangères et en situation d’irrégularité. »
Et d’ajouter : « Qu’est-ce que ça veut dire, en situation d’irrégularité ? Les conventions internationales disent qu’on ne peut exiger à un demandeur d’asile qu’ils détiennent un visa. Le demandeur d’asile n’est jamais en situation irrégulière, car en recherche d’asile justement. »
En quoi ce procès est-il hautement sensible ?
« Ce procès est l’illustration d’une volonté infondée, tant en droit qu’en fait, de criminaliser une manifestation spontanée et pacifique de solidarité avec les migrants, en réaction aux provocations violentes d’un groupe identitaire, estime Me William Bourdon, l’un des sept avocats des prévenus. Nous attendons des débats qu’ils illustrent cette singularité, tant l’enquête de flagrance a été précipitée et d’une incroyable pauvreté. ».
« Mon client n’a fait que participer, en raison d’une exaspération, à une manifestation en réaction à une action fasciste à la frontière, affirme Me Yassine Djermoune. C’est quelqu’un d’engagé face à l’indécence de la situation. Il a envie de défendre devant le tribunal ses principes et ses idéaux, et de dénoncer la façon dont la politique migratoire est conduite aujourd’hui. »