Procès: Un père djihadiste et son fils sont-ils rentrés en France pour commettre un attentat à Paris?

JUSTICE Un père et son fils sont jugés, ces jeudi et vendredi, à Paris, après avoir passé 18 mois en Syrie…

Thibaut Chevillard
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Le nouveau Palais de justice de Paris aux Batignolles. (Illustration)
Le nouveau Palais de justice de Paris aux Batignolles. (Illustration) — SIPA
  • Lotfi Souli et son fils Karim comparaissent ces jeudi et vendredi devant le tribunal correctionnel de Paris.
  • Le père était parti en Syrie avec ses deux fils en 2013 afin, dit-il, de ramener en France un ami de son cadet, âgé de 15 ans.
  • Ils avaient été arrêtés à la frontière turque en 2015 en possession d’une importante somme d’argent et de documentation pouvant laisser penser qu’ils préparaient un attentat sur le territoire.

Devant les enquêteurs, Lotfi Souli, 50 ans, n’en démordait pas. Certes, cet ingénieur en télécoms de nationalité franco-tunisienne a reconnu être parti en Syrie, courant 2013, avec ses deux fils, Karim, un étudiant de 18 ans, et son petit frère Mohamed-Emine, un lycéen de 15 ans. Mais s’ils ont gagné les zones tenues alors par Daesh, ce n’était pas pour combattre au sein du groupe terroriste. Selon lui, ils voulaient simplement retrouver le meilleur ami de Karim, Anass B., parti dans la zone irako-syrienne, sept mois auparavant. A l’origine, le voyage était improvisé et ne devait durer que trois jours tout au plus. Mais en raison d’imprévus, ils sont restés sur place près de 18 mois. Une version, que la justice a bien du mal à avaler.

Mis en examen pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’actes de terrorisme, Lofti et son fils Karim comparaîtront, jeudi et vendredi, devant le tribunal correctionnel de Paris. Mohamed-Emine, mineur au moment des faits, sera jugé plus tard par un tribunal pour enfants. La juge d’instruction est en effet persuadée que les trois hommes avaient prémédité leur départ. Comment d’ailleurs expliquer que l’appartement du père, radicalisé de longue date, ait été entièrement vidé avant leur départ, tout comme ses comptes en banque ? « Je n’ai pas d’explications, je pensais retrouver mon appartement à mon retour », se contente-t-il de répondre lors de sa première audition.

De troublantes recherches sur Google

Les enquêteurs ont aussi découvert que, plus d’un mois avant leur départ, Lotfi S. s’était rendu dans un magasin Décathlon afin d’acheter des sacs de couchage, des couvertures de survie, des paires de chaussures de randonnée, des sacs à dos, des jumelles, des lampes torches et une boussole. « Il s’agissait de l’équipement caractéristique dont se dotaient les velléitaires djihadistes désireux de se rendre sur zone et ne correspondait pas, a contrario, au matériel utilisé par un homme souhaitant simplement aller chercher l’ami de son fils à la frontière turque », remarque l’accusation dans l’ordonnance de renvoi.

En outre, l’exploitation des recherches sur le moteur Google montre que l’ingénieur se renseignait depuis plusieurs mois sur la manière de se rendre discrètement en Syrie depuis la Turquie. Mais pas seulement. Exemples de recherches effectuées : « carte de la Syrie » ; « les postes frontaliers contrôler (sic) par les rebelles syriens » ; « frontière Alep » : « transport taxi en turquie et syrie » ; « meteo en syrie moyenne dans l’année » ; « techniques d’armement sur le terrain » ; « comment la France empêche les départs en Syrie » ; « comment créer une source d’énergie gratuite en zone de guerre ». Pour l’accusation, ça ne fait aucun doute : le père entendait « s’installer durablement en Syrie » avec ses fils.

Un voyage pour « sauver » le meilleur ami du fils

D’ailleurs, pourquoi aurait-il voulu se rendre en Syrie pour ramener l’ami de Karim ? Selon lui, il s’agissait de « sauver » son fils qui était « très attaché » à son camarade de classe et qui échangeait encore « avec lui par mails ». « Je n’ai pas envie que des idées à la con traversent la tête de mon fils », assurait-il aux enquêteurs. Une explication qui n’a pas convaincu Abdelouahab B., le frère d’Anass. « Jamais ils ne sont venus nous voir en disant "Ah c’est triste, on va aller le chercher" (…) Il n’y a pas de logique, tout le monde sait que c’est une zone de guerre, un père ne va pas partir avec ses enfants pour aller chercher mon frère », a-t-il lâché aux agents qui l’interrogeaient.

La juge est aussi persuadée que les trois hommes étaient bien plus impliqués au sein de Daesh que ce qu’ils veulent bien admettre. Ils ont assuré ne pouvoir citer aucun djihadiste français rencontré lorsqu’ils étaient à Raqqa, la capitale du « califat », alors que ces derniers constituaient le premier contingent de combattants européens. Le plus jeune frère n’a même reconnu aucun des 750 djihadistes français sur les photos que lui présentaient les enquêteurs de la DGSI. Ils ont prétendu également n’avoir jamais combattu, même si Mohamed-Emine s’était fait photographier portant une arme et un gilet tactique contenant plusieurs chargeurs.

Une inquiétante documentation

Selon ses déclarations, le père de famille aurait été arrêté par des djihadistes peu de temps après être entré en Syrie. Il aurait alors feint son adhésion au groupe terroriste pour être libéré et récupérer ses fils. Lotfi Souli aurait ensuite été employé par Daesh. Il devait s’assurer que le téléphone soit opérationnel pour les habitants de Raqqa. Mais en raison d’une erreur profitant au régime de Bachar al Assad, il serait reparti en prison, suspecté d’être un espion français. Etrangement libéré en février 2015 alors qu’il était soupçonné de haute trahison, il serait parvenu à s’enfuir en Turquie avec ses fils où ils ont finalement été arrêtés.

Les trois hommes ont ensuite été expulsés en France dix jours plus tard. Sur eux avaient été retrouvés 8.366 euros, 3.700 dollars, ainsi que du matériel informatique contenant notamment des photos de combattant, d’exécutions d’otages, d’Amedy Coulibaly, des frères Kouachi, d’Oussama Ben Laden. Mais aussi « deux manuels de confection d’engins explosifs », « deux notices d’utilisation du fusil d’assaut AK47 » ainsi qu'« une abondante documentation technique sur le pilotage d’avion » que l’accusation met en relation « avec la découverte tardive » sur l’un des ordinateurs qu’ils détenaient « des recherches effectuées sur Google Maps sur la Tour Eiffel et le pont d’Iéna ».

La « finalité terroriste » qui ne « faisait aucun doute »

Revenaient-ils en France pour commettre un attentat ? Pour la juge, « la finalité terroriste de ces notes de méthodologie de pilotage d’un Boeing ne faisait aucun doute ». Karim Souli, lui, admet simplement avoir utilisé des simulations de pilotage d’avion avec son frère Mohamed-Emine « pour jouer ». De son côté, son père a juré à la magistrate que l’aîné des deux fils avait perdu son ordinateur en Syrie et que les djihadistes « lui ont donné celui-là ». Au terme de l’enquête, aucun projet d’attentat aux contours vraiment définis n’a pu être mis à jour.

Ils ne sont donc jugés par le tribunal correctionnel que pour avoir séjourné en Syrie et combattu dans les rangs de Daesh. Lotfi et Karim Souli encourent dix ans d’emprisonnement. Quant à Anass B., il aurait été tué au combat. Ce qui n’empêchera pas la justice, faute de pouvoir prouver sa mort, de le juger par défaut. Contactés par 20 Minutes, maîtres Xavier Nogueras et Martin Pradel, les avocats de deux prévenus, n’ont pas donné suite.