Activités de Lafarge en Syrie: Quatre questions pour comprendre l'affaire
JUSTICE Le cimentier est soupçonné d’avoir financé des groupes terroristes en Syrie contre le maintien de son activité dans le pays…
- Sept cadres et responsables du cimentier ont été mis en examen ces derniers mois.
- Ils sont poursuivis pour « mise en danger de la vie d’autrui » et « financement d’une entreprise terroriste ».
Une multinationale française qui aurait financé Daesh en Syrie, une poignée de hauts dirigeants mis en examen, plusieurs plaintes déposées, des soupçons portant sur un éventuel silence des autorités françaises… Depuis sa révélation, en 2016, l’affaire Lafarge n’en finit plus de défrayer la chronique. Alors que Libération fait de nouvelles révélations cette semaine, 20 Minutes fait le point sur cette très embarrassante affaire.
Qu’est-ce qui est reproché à Lafarge ?
Le groupe français Lafarge, qui a fusionné en 2015 avec le suisse Holcim, est mis en cause pour avoir financé des factions armées en Syrie - dont le groupe État islamique - afin de continuer à faire tourner sa cimenterie malgré la guerre, mettant en péril la sécurité de ses employés syriens. Ces derniers étaient restés seuls au départ de la direction de l’usine, à l’été 2012.
De juillet 2012 à septembre 2014, la filiale syrienne du groupe a versé environ 5,6 millions de dollars à diverses factions armées via un intermédiaire, dont plus de 500.000 dollars aux djihadistes de l’EI, d’après un rapport du cabinet américain Baker McKenzie missionné par Lafarge.
Qu’a révélé lundi Libération ?
Les enquêteurs tentent de déterminer si la direction à Paris et le Quai d'Orsay étaient au courant de ces pratiques. Le journal explique que les services de renseignement français étaient bien « informés de façon précise et régulière par le directeur sûreté de l’entreprise, Jean-Claude Veillard ».
Ce dernier a confié, le 12 avril dernier, à la juge d’instruciton chargé du dossier, avoir « rencontré à 33 reprises » des représentants de la DGSE, de la DGSI et de la DRM. Il aurait aussi été en contact avec le cabinet militaire de François Hollande, alors président de la République.
Combien de personnes ont-elles été mises en examen ?
Six personnes ont été mises en examen pour financement du terrorisme et mise en danger de la vie d’autrui. Il s’agit de l’ex-PDG de Lafarge, Bruno Lafont, de son ex-directeur général adjoint opérations Christian Herrault, de l’ex-directeur général de Lafarge Holcim Eric Olsen, des anciens directeurs de la filiale syrienne de Lafarge, LCS, Bruno Pescheux et Frédéric Jolibois, ainsi que Jean-Claude Veillard, responsable à l’époque de la sécurité du groupe.
Sonia Artinian, une ancienne DRH du groupe, a été mise en examen seulement pour « mise en danger de la vie d’autrui ».
Comment l’affaire a-t-elle été révélée ?
Le 21 juin 2016, Le Monde révèle que le cimentier Lafarge a tenté, en 2013 et 2014, de faire fonctionner « coûte que coûte » son usine en Syrie, « au prix d’arrangements troubles et inavouables avec les groupes armés environnants », dont l’EI. Le journal cite des courriels envoyés par la direction de Lafarge, révélant des arrangements avec l’EI pour pouvoir poursuivre la production jusqu’au 19 septembre 2014, date à laquelle l’EI s’est emparé du site et le cimentier a annoncé l’arrêt de toute activité.
En septembre 2016, le ministère de l’Économie dépose plainte, déclenchant l’ouverture d’une enquête préliminaire par le parquet de Paris, confiée au service national de douane judiciaire (SNDJ). La plainte porte sur une interdiction d’acheter du pétrole en Syrie, édictée par l’Union européenne dans le cadre d’une série de sanctions contre le régime de Bachar al-Assad. En novembre, Lafarge est visé par une autre plainte déposée par deux ONG : l'association Sherpa, qui représente 11 anciens employés syriens, et le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits de l’Homme (ECCHR). Elles l’accusent d’avoir financé l’EI pour maintenir l’activité de sa cimenterie.
Le 9 juin 2017, une information judiciaire est ouverte, visant notamment les chefs de « financement d’une entreprise terroriste » et de « mise en danger de la vie d’autrui ». Elle est confiée à deux juges d’instruction du pôle financier et un du pôle antiterroriste. Le service national de douane judiciaire entend début 2017 plusieurs responsables du cimentier et de sa filiale syrienne.