Procès: «On a utilisé Jawad Bendaoud pour assouvir une forme de vengeance», plaide son avocat

TRIBUNAL Le jugement a été mis en délibéré au 14 février…

Caroline Politi
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Jawad Bendaoud, l'homme qui a logé les terroristes dans un appartement de Saint-Denis
Jawad Bendaoud, l'homme qui a logé les terroristes dans un appartement de Saint-Denis — BFMTV / AFP
  • Le procureur a requis cinq ans de prison contre Youssef Aït Boulahcen et quatre ans contre Jawad Bendaoud et Mohamed Soumah.
  • Le jugement a été mis en délibéré au 14 février.

Il a commencé sa plaidoirie par une confession. Lui aussi a ri en découvrant l’interview de Jawad Bendaoud sur BFMTV le 18 novembre 2015. « Alors que le sentiment commun qui règne c’est l’inhumanité, nous nous sommes rassemblés, nous Français, autour de Jawad Bendaoud. Il nous a permis de rire. […] Il a été sans le vouloir, malgré lui, une sorte de catharsis », analyse ce mercredi son avocat, Me Xavier Nogueras, devant la 16e chambre du tribunal correctionnel de Paris.

« La police a fait le choix d’intervenir plus tard »

Pourtant, rapidement, il a acquis la certitude que Jawad Bendaoud, poursuivi pour « recel de malfaiteurs » était « innocent ». A ses yeux, le jeune homme de 31 ans a été « utilisé pour assouvir une forme de vengeance »; Son client, explique-t-il, n’a « pas retardé l’arrestation des terroristes ». En s’appuyant sur une série de procès-verbaux, l’avocat assure que les enquêteurs avaient identifié le lieu où se cachaient les  terroristes du 13 novembre – un buisson aux abords d’Aubervilliers – avant même qu’ils n’arrivent dans le squat de Jawad Bendaoud. « Le 17 novembre à 20h13, la police a devant elle les deux terroristes en fuite », précise l’avocat. Or, ces derniers n’arrivent dans l’appartement de Saint-Denis qu’à 22h30 et l’assaut est donné à 4 heures du matin. « La police a fait le choix d’intervenir plus tard. ». Assis dans le box, le prévenu vêtu d’une veste rouge à l’effigie du PSG, les cheveux tirés en arrière, l’écoute attentivement, les bras croisés, hochant parfois la tête pour signifier son approbation.

Les certitudes de l’avocat ont un temps vacillé lorsqu’il a appris au cours de l’instruction que de l’ADN de son client avait été retrouvé sur du scotch servant à consolider la ceinture explosive utilisée par les terroristes pendant l’assaut. « Mais soyons précis, c’est un ADN mélangé, ça peut être un ADN de contact. Comment peut-on imaginer qu’en huit minutes, Abaaoud va lui demander "eh tu veux pas venir mettre un bout de scotch sur la ceinture ?" » D’autant que l’ADN n’a été retrouvé que sur la face lisse du scotch et que le prévenu a toujours assuré qu’il avait fait des travaux dans son « appartement ». Mardi déjà, dans son réquisitoire, le procureur avait mis en garde sur le risque de « mettre un costume trop grand à Jawad Bendaoud au risque de décrédibiliser Abdelhamid Abaaoud. » Il a requis quatre ans de prison à son encontre avec un maintien en détention.

« Tout ce que j’ai pour me défendre c’est l’arrogance »

La seconde avocate du prévenu, Me Marie-Pompei Cullin a réclamé sa relaxe. A ses yeux, Jawad Bendaoud ne pouvait connaître l’identité des deux hommes qu’il hébergeait. « Personne ne pouvait envisager le 17 novembre 2015 qu’Abdelhamid Abaaoud était en France. Sauf à supposer que Jawad Bendaoud avait un degré de connaissance que nous-même n’avions pas, un degré de certitude que François Molins n’avait pas. » La conseil donne pour preuve de cette ignorance le dédain avec lequel il s’adresse à Hasna Aït Boulahcen qui joue les intermédiaires. « Mais t’es une relou [lourde] toi », lui écrit-il par texto. « On ne dirait pas ça si on savait que ces personnes étaient en fuite. »


Avant de mettre le jugement en délibéré au 14 février, la présidente a laissé, comme le veut la procédure, le dernier mot aux prévenus. Dernier à s’exprimer, Jawad Bendaoud a d’abord semblé à court de mots. « Je ne sais quoi dire, Madame », lâche-t-il après avoir longuement remercié ses avocats - notamment Me Cullin, sa « petite Dupond-Moretti » - son père, son frère, les surveillants de l’isolement, ses co-détenus mais également une partie civile qui lui avait signifié croire en son innocence.


Puis les mots ont jailli d’un coup. Dans un discours un peu brouillon, il a confié sa crainte de ne pas avoir su convaincre. « Je parie à 80 % que je vais être condamné », lâche-t-il, assurant qu’il ne fera pas appel. Et de conclure dans un dernier aphorisme dont il a le secret. « C’est le Jawad Tragedy Club. Tout ce que j’ai pour me défendre c’est l’arrogance. » Chassez le naturel, il revient au galop…