«Sauvé par sa mère», le neveu des frères Merah charge Abdelkader à son procès

PROCÈS Ce mardi, la belle-sœur et le neveu d’Abdelkader et Mohamed Merah ont témoigné devant la cour d’assises spécialement composée de Paris…

Hélène Sergent
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Illustration de la cour d'assises spéciale de Paris au palais de justice.
Illustration de la cour d'assises spéciale de Paris au palais de justice. — JACQUES DEMARTHON / AFP
  • Abdelkader Merah est poursuivi pour « complicité d’assassinats » et encourt une peine de prison à perpétuité.
  • Il est suspecté d’avoir « sciemment » aidé son frère, Mohamed, dans la préparation des tueries survenues à Toulouse et Montauban en mars 2012.
  • Sept personnes ont été tuées par Mohamed Merah, trois militaires, un enseignant et trois enfants juifs de l’école Ozar Hatorah.

« Pour moi, ma mère m’a sauvée. » Costume gris impeccable, Théodore, neveu des frères Merah et aujourd’hui étudiant « en prépa grandes écoles de commerce », a retracé le fil d’une adolescence imprégnée par l’idéologie salafiste de ses oncles et tantes. Idéologie contre laquelle sa mère, Anne C. a tenté, tant bien que mal, de le préserver.

Fils unique d’Abdelghani Merah, le jeune homme a longuement dépeint à la cour d’assises spéciale de Paris chargée de juger son oncle, le rapport à la religion entretenu par la fratrie toulousaine : « L’enseignement que m’ont donné Abelkader, Souad et Mohamed était salafiste, radical […] ils parlaient tout le temps de religion. » Calme, le timbre clair, Théodore a livré les souvenirs d’une enfance et d’une jeunesse marquées par l’initiation violente au salafisme. Dans le box des accusés, son oncle poursuivi pour « complicité d’assassinats » n’a cessé de le fixer.

« Il voulait m’emmener faire le tour des morgues »

« Abdelkader était l’un des premiers à m’impliquer dans l’islam à travers différents moyens mais il évoquait surtout le djihad spirituel », lance en préambule Théodore. Son oncle tient alors la mort pour obsession : « Il disait qu’il fallait se préparer à mourir pour Dieu, il voulait même m’emmener faire le tour des morgues pour me préparer à ce qui allait se passer. […] Il me parlait du paradis, du comportement qu’il fallait avoir envers mes frères de religion, et les kouffar, les mécréants », développe le témoin. À l’époque, Théodore n’a pas dix ans.

Puis les liens entre l’oncle et le neveu se distendent, Mohamed et Souad Merah prennent le relais : « Mohamed expliquait beaucoup plus explicitement qu’on pouvait mourir pour Dieu, mourir en martyr et voyait le terrorisme comme un moyen de défense et non une attaque. » Très proches, les deux garçons qui n’ont que sept ans d’écart, se retrouvent régulièrement pour jouer à la console. Puis Mohamed passe à l’ordinateur : « Il a dû me montrer une dizaine de vidéos de décapitations, d’exécutions », relate dans un filet de voix Théodore.

Une radicalisation « crescendo »

Au fil des ans, Anne C. a assisté à la radicalisation des frères et de la sœur de son conjoint Abdelghani. Très proche d’Abdelkader, « le plus intelligent de la fratrie », la jeune femme est une victime collatérale des violentes disputes entre les deux frères : « Abdelkader a compris qu’en m’attaquant, cela touchait Abdelghani ». À partir de 2003, elle voit son beau-frère « entrer dans le salafisme » : « Quand il est rentré là-dedans je me suis dit que l’alcool, la drogue, c’était fini et qu’il allait aller dans le droit chemin. Puis c’est allé crescendo, on est devenu les mauvais, les kouffars. »

Regard azur, chevelure jais, la mère de Théodore s’alarme quand son fils revient des après-midi passées avec ses oncles avec ces questions : « Il me disait "Maman quand les musulmans vont commencer à se battre en France, tu vas te convertir ? S’ils tuent tous les mécréants, tu veux pas te convertir ?" » Elle garde en tête cette phrase lancée quelques années plus tôt par Abdelkader : « À 18 ans, Théodore je viendrais le chercher… Sous-entendu, je vais le faire entrer dans la religion ».

« Tête pensante »

Soucieuse de ne pas braquer son fils, sa mère le questionne, débat, discute. Pendant trois mois, elle accueillera Mohamed Merah tous les vendredis pour le dîner. Pendant les repas Mohamed disserte sur la religion, ne cache ni sa haine pour les policiers et les militaires ni son voyage effectué au Pakistan. « Quand il n’était pas sûr d’une chose, il appelait Olivier Corel [surnommé » l’Émir Blanc «], il m’a même laissé son numéro en me disant que si j’avais des questions je pouvais l’appeler », ajoute Anne C. Puis la rupture intervient un soir de dispute, la mère interdira à son fils de revoir Mohamed Merah


L’un après l’autre, Anne C. et son fils ont lourdement chargé Abdelkader qu’ils qualifient de « tête pensante » dans les tueries de Toulouse et Montauban. « Pour moi, il n’aurait jamais pu commettre d’attaque car il n’est pas dans le djihad armé. Ce procès n’a aucune valeur à ses yeux car il ne croit pas aux lois de la République et pour moi, il est extrêmement fier de ce qu’a fait Mohamed », assène Théodore. « Pour moi c’est Abdelkader et Souad qui ont appris leur religion fanatique à leur petit frère Mohamed », complète Anne C.

Après deux heures d’audition, l’avocat de la défense Eric Dupond-Moretti explose : « Ça commence à bien faire ! Ce qui compte ici c’est la preuve de la culpabilité et rien d’autre. Depuis trois semaines on n’entend que des "Je pense que". […] qu’on consacre à ce point la vacuité de la preuve, moi ça me chagrine… »