Facebook: «On vous fait croire que vous pouvez supprimer vos échanges, et en fait non»

INTERVIEW Max Schrems, un Autrichien de 24 ans étudiant en Droit, a déclaré la guerre à Facebook. Après avoir pris connaissance des informations que le réseau social conserve réellement sur lui et regardé de près comment il fonctionnait, il a adressé 22 plaintes à l'autorité de protection des données en Irlande, où se trouve le siège européen du site...

Propos recueillis par Anaëlle Grondin
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La page «Timeline» du nouveau profil Facebook, dévoilé le 22 septembre 2011 par Mark Zuckerberg.
La page «Timeline» du nouveau profil Facebook, dévoilé le 22 septembre 2011 par Mark Zuckerberg. — FACEBOOK

Vous êtes à l’origine de Europe Vs. Facebook, un groupe sur Internet qui veut faire pression sur le site de Mark Zuckerberg pour plus de transparence sur le Vieux Continent où la question des données personnelles est sensible. Quand a commencé cette «guerre» avec le plus grand réseau social du monde?
En rencontrant certains responsables de Facebook quand j’étais en échange universitaire en Californie, je me suis rendu compte qu’ils prétendaient dialoguer avec les autorités au sujet de la vie privée et des données personnelles, mais qu’en fait ils ne le faisaient pas. «Pourquoi on devrait y prêter attention? Les Européens sont mignons avec leurs lois»: c’est un peu leur discours, aux Etats-Unis. Après ça, au mois de juillet dernier, j’ai eu envie de savoir ce que Facebook conservait concrètement comme données sur moi. J’ai fait une demande pour recevoir un CD avec tout ça [via ce formulaire et en brandissant cette directive européenne qui lui en donne le droit]. La chose la plus intéressante est la taille du fichier PDF: plus de 1220 pages. Alors que la plupart des choses qui s’y trouvaient, je les avais supprimées du réseau social. Facebook vous fait croire qu’on peut paramétrer, supprimer, contrôler ce qu’on met sur le réseau social, et en fait non.

Le PDF contenait des informations très précises comme l’heure et la date de toutes les fois où vous vous êtes connecté au site, vos pokes, les historiques de vos demandes d’amis (même les rejets) ou encore chaque discussion via le chat Facebook. Qu’est-ce qui vous a le plus effrayé en voyant toutes vos données ainsi compilées?
Tout ce que j’ai fait depuis trois ans sur Facebook est enregistré. Pour toujours! Même après avoir cliqué sur «supprimer» sur le site. Dans mon cas, on peut savoir quels sont mes problèmes de santé, mes problèmes amoureux, savoir qui de mes amis est gay, quels sont les problèmes psychologiques de certains de mes amis…

Les 22 plaintes que vous avez formulées contre le réseau social en Europe visent donc globalement à interdire à Facebook de conserver ces informations?
Je demande de la transparence. Avant tout, nous voulons savoir ce que l’entreprise fait de ces données. La loi européenne indique que vous devez dévoiler ce que vous en faites. Ce que Facebook fait est totalement illégal. La Commission européenne nous l’a confirmé alors que d’habitude elle prend du temps pour répondre à nos questions en nous répondant «On va regarder ça». Là, sa réponse a été immédiate: ce n’est pas légal.

Une plainte attire particulièrement notre attention. Elle concerne les «shadow profiles», qu’est-ce que c’est?
Ce sont des profils non-officiels, créés par Facebook grâce à des données collectées avec le temps auprès de moi ou encore de mes amis. Le site les conserve sans même que nous soyons au courant. Par exemple, j’ai vu dans le PDF qu’ils possèdent une de mes adresses e-mail que je n’ai jamais mise sur Facebook. Ce sont des informations de «background».

Avez-vous eu un retour de la part de Facebook depuis que vous menez ce combat?
Jusqu’à présent, Facebook ne nous a pas répondu.  L’autorité de la protection de la vie privée en Irlande va leur envoyer une lettre officielle. J’espère que ça les fera bouger. Je sais que Facebook ne changera que si la loi l’y oblige.

Le fait que Facebook conserve les données des utilisateurs n’est pas nouveau. D’ailleurs ils disent eux-mêmes que c’est un choix des internautes (de savoir ce qu’on publie ou non)…
Oui, mais en même temps ils disent qu’on peut paramétrer et changer des choses sur notre profil après coup, il y a des options supprimer. Mais qu’est-ce qu’on voit? Que cela reste sur les serveurs malgré tout même si chez nous les informations ne sont plus affichées.

Depuis plusieurs semaines vous encouragez les internautes à faire comme vous, à demander un CD-ROM contenant toutes les informations individuelles. Avez-vous été suivi?
La presse allemande a pas mal parlé de Europe Vs Facebook. Je pense qu’au moins 10.000 demandes ont été faites à Facebook. J’ai également reçu énormément de demandes d’amis depuis.

Vous conservez donc votre profil Facebook…
Oui, je suis même sur Facebook tous les jours. J’aime cet outil, mais je souhaiterais pouvoir l’utiliser sans m’inquiéter à chaque fois que j’écris quelque chose. Je veux rendre l’outil légal et meilleur. Surtout que je n’ai pas d’autre alternative, car tous mes amis sont sur Facebook.

Ils n’ont pas eu peur depuis que vous avez reçu le fameux PDF digne d’un film d’espionnage?
C’est vrai que certains d’entre eux ont changé leur façon d’utiliser le site et font attention, mais globalement ils conservent leur compte, comme moi.

Et les autres réseaux sociaux?
J’avoue que c’est déjà un très gros travail de me concentrer sur Facebook et qu’il me faudrait encore un an et demi si je devais étudier un autre. Mais Facebook étant le plus important à l’heure actuelle, je me dis que s’il est obligé de se plier à la loi et de changer sa manière de faire, les autres suivront.