Des camions-écoles pour faire classe aux enfants roms dans les bidonvilles
"Bonjour, on vient chercher les enfants pour l'école!". C'est la rentrée jeudi au bidonville de La Courneuve où vivent un millier de Roms. Trois enseignants font classe dans des camions colorés, dans l'espoir d'inscrire un jour les élèves dans une école en dur.
"Skola, skola!", crient en riant des dizaines d'enfants roms, ravis de voir les trois bus de l'Aset 93 (Aide à la scolarisation des enfants tsiganes), animée par des professeurs, à l'entrée de ce bidonville sans eau ni électricité, entouré de monceaux de détritus et coincé en contrebas d'une autoroute.
Deux à trois cents enfants y vivent. Les camions-écoles, équipés de petits bancs et tables rabattables, d'un tableau, et placardés de tables de multiplication et dessins d'enfants, ne peuvent en accepter que 36. La plupart ont déjà suivi la classe, un jour par semaine, de mars à juin.
En ce jour de rentrée, Alexandre ne sait plus comment dire son âge en français. "J'ai douze ans", lui fait répéter Marine Danaux, professeure de collège. "Tu as tout oublié!", s'exclame-t-elle, avant de faire dire à chaque élève prénom, nom, âge, puis de trouver avec eux la date du jour.
Les enfants ont du mal à tenir en place, se parlent en romani. Pour se faire comprendre, les professeurs ont parfois recours aux quelques mots de roumain ou d'espagnol qu'ils connaissent.
Dans le camion de Julien Radenez, les moins de dix ans jouent aux dés la distribution des cahiers à couverture rouge, verte ou bleue. Une façon de les obliger à compter sans faire de jaloux.
Sur la première page, ils dessinent leur camion ou "antenne scolaire mobile". Certains tiennent un feutre pour la première fois, à cinq ou six ans.
"Le reste du temps ils sont dans le platz (camp, ndlr) à jouer. C'est bien pour connaître les lettres, écrire, apprendre à parler", dit une maman, qui fait la traductrice pour les plus petits.
Minimum de discipline
"On essaie de leur inculquer des habitudes de classe, un minimum de discipline. On leur parle en français, avec du vocabulaire autour de l'école. L'idée est d'évaluer leur niveau pour que l'école normale prenne le relais", explique Marine Danaux.
"L'idéal serait qu'ils y aillent directement", insiste M. Radenez. "Après, il faut qu'elle ne soit pas trop loin pour qu'ils puissent y aller à pied, que les parents soient assidus, ce qui n'est pas toujours facile", selon Mme Danaux.
L'an dernier, l'Aset 93 a inscrit en école une centaine des 500 enfants qu'elle suivait. Employée par l'association, une médiatrice rom qui a elle-même habité dans un bidonville et scolarisé sa fille, aide pour les démarches.
Souvent, il faut batailler, pour faire ouvrir une classe spécifique (dit CLIN ou CLA) ou simplement convaincre les mairies d'accepter les élèves.
En hiver, le froid, la saleté, les rats peuvent être décourageants pour les professeurs. "C'est souvent dans des zones industrielles, au bord de routes, les enfants partent du camion en courant, c'est très dangereux", soupire Mme Danaux.
Certains parents sont motivés, comme Florin: "Nos enfants sont tout à fait capables mentalement. Les camions, c'est un peu un ghetto, moi je veux l'école normale pour mes cinq enfants, et que l'Etat arrête de nous discriminer. On peut s'adapter à la vie française, on veut s'intégrer, du travail."
Dans d'autres camps, parfois, les enseignants sont accueillis avec hostilité. "Ils n'ont pas toujours compris qu'il faut se projeter vers l'avenir, mettre leur enfant à l'école pour plus tard", souligne Mme Danaux. "Même ici, on n'est qu'une goutte dans l'océan", dit-elle, en montrant le terrain poussiéreux où les enfants jouent entre caravanes, carcasses de voitures et taudis.