La France n'est pas encore revenue aux années de plomb
EXTREMISME C'est pourtant ce que craint Michèle Alliot-Marie, alors que l'extrême gauche se radicalise…
Avec l'arrestation de plusieurs individus d'«ultra-gauche» soupçonnés de sabotage sur les voies SNCF, c'est le spectre des années de plomb qui ressurgit. Pour éclairer cette actualité, 20minutes.fr ressort un article de février 2008 de ses archives.
Le spectre des années de plomb plane-t-il au-dessus de la France? C'est ce que l'on pourrait croire en entendant Michèle Alliot-Marie affirmer il y a quelques jours «craindre le terrorisme d'extrême gauche» — avec des clones d’«Action directe, des Brigades rouges ou de la Fraction armée rouge» — qui viendrait s'ajouter, selon elle, aux risques terroristes «d'Al-Qaïda, d'ETA ou de Corse»..
MAM a fait état de deux interpellations à la mi-janvier de personnes en possession de matériels, de produits, de manuels et de plans pour fabriquer des bombes. «Des indications précises permettent de parler en effet d'un renouveau de la mouvance autonome», confirme Jean-Yves Camus, spécialiste de l'extrême gauche à l'Iris. «Il s'agit d'une mouvance très sommaire qui emprunte au situationnisme, à l'autonomisme ouvrier, à l'anarchisme.»
La Maison des sciences de l'homme, le CPE...
En témoignent selon lui, l’occupation et le saccage de la Maison des sciences de l’homme, à Paris, en 2006 dans la foulée de la mobilisation anti-CPE, la radicalisation du mouvement contre la réforme des universités ou encore les violences qui ont éclaté place de la Bastille le soir même de l'élection de Nicolas Sarkozy.
«Des voitures ont aussi brûlé le soir de la passation de pouvoir entre Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy», confie à 20minutes.fr un responsable des Renseignements Généraux. Peut-on parler de terrorisme? «Le risque existe bel et bien, il y a quelques têtes brûlées. Il n'y aurait rien d'étonnant à ce qu'ils s'en prennent à des bâtiments officiels — par exemple mettre un engin explosif près d'une direction administrative — ou même à des personnalités». D'ailleurs, du chlorure de potassium et du sucre, qui peuvent être utilisés pour la confection d'une bombe artisanale, ont été retrouvés récemment en région parisienne.
Du terrorisme?
«Nous constatons en effet une montée des mouvements autonomes radicaux, mais de là à parler de terrorisme, il y a une marge énorme», tempère Daniel Bensaïd, professeur de philosophie et théoricien de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR). «Il s'agit d'un mouvement instantané qui n'a pas le souci de traduire des rapports de force et de s'inscrire dans une périodicité historique.» «Contrairement aux années 70-80, la centralité du combat ouvrier a disparu chez ces militants qui proviennent de la petite bourgeoise et bourgeoisie déclassées», confirme Jean-Yves Camus. «Leur violence n'a pas d'ampleur idéologique ni organisationnelle, elle ne s'attaque pas frontalement aux représentants de l'Etat ou du patronat», estime Serge Cosseron, auteur du «Dictionnaire de l'extrême gauche» (éd. Larousse).
La cause de cette radicalisation est-elle à chercher dans la fragilisation des partis extrêmes, comme le laisse entendre Michèle Alliot-Marie? «Non, ajoute Camus, elle est provoquée au contraire par l'institutionnalisation des mouvements altermondialistes et d'extrême gauche.» «Le ressentiment à notre égard est sensible chez certains qui rejettent toute politique organisée, comme cela avait déjà été le cas à la fin des années 70», confirme Daniel Bensaïd pour qui le «terrain d'exaspération sociale s'est renforcé».
Une stratégie vaincue
De l’avis de tous ces observateurs, il reste complètement imprévisible de savoir quel plan d'action peut concevoir un petit groupe isolé de militants motivés. «L'irrédentisme des années de plomb est toujours possible, mais il est négligeable. La violence terroriste est une stratégie qui a été vaincue par l'Etat, l'évolution de la société, la fin du marxisme-léninisme», poursuit Serge Cosseron.
«La lutte armée n'est plus adaptée aux luttes actuelles», reconnaît Alain Pojolat, animateur du collectif «Ne Laissons Pas Faire», qui milite pour la libération des membres emprisonnés d'Action directe. Pour ce «trotskyste guévariste», la résurgence de groupes armés, ce sont «des foutaises du ministère de l'Intérieur».
«Les affrontements avec le pouvoir peuvent être violents au besoin», concède-t-il, mais la lutte armée — à laquelle «il faudra peut-être revenir un jour» — «violerait le mouvement social actuel». «Regardez Georges Besse [dirigeant de la Régie Renault assassiné par Action Directe en 1986], son meurtre n'a pas servi à faire basculer le pouvoir. Quand un patron se fait descendre, un autre le remplace». La rhétorique, elle, ne mourra jamais.
(Crédit photo: André Gunthert, Creative Commons)