Mort de Nahel : Après deux nuits de violences urbaines, la crainte d’un embrasement
EMEUTES La mort du jeune Nahel, tué par un policier à Nanterre, a donné lieu des échauffourées partout en France et ravivé le spectre de la crise des banlieues de 2005
- Dans la nuit de mercredi à jeudi, des violences urbaines liées à la mort de Nahel, tué par un policier à Nanterre, ont été constatées partout en France.
- 40.000 policiers et gendarmes - dont 5.000 à Paris et en proche banlieue - seront mobilisés ce soir.
- Le spectre des émeutes de 2005 est dans tous les esprits.
A Rouen, le commissariat a été la cible de mortiers d’artifice. A l’Ile-Saint-Denis, Garges-lès-Gonesse ou Mons-en-Barœul, ce sont les hôtels de ville qui ont été ravagés par des incendies. Tout comme la médiathèque d’Amiens ou le tramway à Clamart. La liste est loin d’être exhaustive. De Toulouse à Lille, de Brest à Saint-Etienne en passant par Alençon, le constat est le même : deux jours après la mort de Nahel, tué par un policier à Nanterre, les violences urbaines se sont propagées partout en France. Selon le ministère de l’Intérieur, 150 personnes ont été interpellées dans la nuit de mercredi à jeudi. Et si le gouvernement affirme que le déclenchement de l’état d’urgence « n’est pas une option envisagée aujourd’hui », 40.000 policiers et gendarmes - dont 5.000 à Paris et en proche banlieue - seront mobilisés ce jeudi soir.
C’est quatre fois plus que la nuit précédente, et surtout le signe qu’en haut lieu, la situation est prise avec le plus grand sérieux. Car tout le monde a en tête les émeutes de l’automne 2005 ayant suivi la mort de Zyed et Bouna, deux adolescents qui cherchaient à fuir un contrôle de police. Vingt jours d’embrasement aux quatre coins de la France qui avaient fait la une des journaux aux quatre coins du monde. « On est sur une dynamique émeutière qui, effectivement, peut rappeler celle de 2005 : la mort d’un jeune, le déclenchement en banlieue puis la diffusion partout en France, estime Thomas Sauvadet, chercheur à l’université Paris-Est Créteil et spécialiste des violences urbaines. Que des violences urbaines surviennent après un fait divers, cela arrive régulièrement. Qu’elles se diffusent à d’autres villes, c’est beaucoup plus rare. »
« Choc émotionnel »
La mort d’Adama Traoré, en 2016, avait donné lieu à plusieurs jours d’émeutes particulièrement violentes - un procès s’est même tenu aux assises pour ces événements - autour de Beaumont-sur-Oise, dans le Val d’Oise. Lors de l’interpellation de Théo, à Aulnay-sous-Bois en 2017, des heurts avaient été enregistrés dans toute l’Ile-de-France : en une dizaine de jours, 245 personnes avaient été interpellées et une vingtaine de véhicules incendiés. A chaque fois, le même scénario : les violences urbaines sont circonscrites et s’éteignent en quelques jours. C’était le cas à Nantes, en 2018, après la mort d’Aboubakar Fofana, tué par un policier lors d’un contrôle. Ou à Grenoble, en 2019, après le décès de deux adolescents dans un accident de scooter alors qu’ils étaient poursuivis par la police.
« Dans l’affaire Nahel, il y a un mélange d’éléments qui rend la situation explosive : un jeune qui meurt dans un quartier sur une action de la police, analyse Christophe Korell, policier pendant plus de vingt ans et désormais à la tête d’une association qui œuvre au rapprochement entre la police et les citoyens (ACPJ). Là, en plus, il y a cette vidéo, qui donne la sensation de proximité avec l’action. Le geste reste incompréhensible pour beaucoup. » On voit le fonctionnaire mis en cause pointer son arme sur le conducteur alors arrêté, puis tirer au moment où il redémarre.
La puissance de ces images fait penser à celles de l’affaire George Floyd aux Etats-Unis. « La vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, partagée, commentée, participe à cette dynamique émeutière », insiste Thomas Sauvadet. L’âge de la victime -17 ans - n’est également pas anodin. « Il y a, dans cette affaire, tout un vocabulaire associé à l’enfance, note le chercheur. On parle d’un « gamin », M’Bappé fait un tweet sur « un petit ange », cela crée un choc émotionnel qui peut permettre la propagation. »
« Rien n’est fait en matière de prévention »
La situation est d’autant plus explosive que rien n’a vraiment changé depuis « la crise des banlieues » de 2005. « De l’argent a été mis dans le bâti, mais rien n’a été fait en matière de prévention, d’éducation… On constate qu’il y a une défiance envers les institutions, notamment la police, mais personne ne s’en préoccupe. On se contente de répéter que le taux de confiance dans la police est de 70 % sans chercher plus loin… », déplore Christophe Korell. En vingt ans, la situation, aux yeux de Thomas Sauvadet, se serait même plutôt dégradée, « notamment pour une partie de la jeunesse masculine » : certes, les difficultés scolaires, professionnelles et économiques des quartiers existaient déjà, mais « il y a une habitude de la violence qu’il n’y avait pas ». C’est la même qui s’exprime lors des règlements de compte. « Une partie des adolescents dans les quartiers prioritaires sont prêts à passer à l’acte, il y a une forme de radicalisation », souligne le chercheur, qui note une présence accrue des armes.
Ces éléments pourraient-ils créer une situation plus explosive encore qu’en 2005 ? Impossible à dire à ce stade des événements. La mise en examen de ce policier ce jeudi, et surtout son placement en détention provisoire, pourraient participer à une forme d’apaisement. « Plus précisément, si le policier avait été placé sous contrôle judiciaire, cela aurait forcément entraîné un embrasement. On verra si son placement en détention est de nature à calmer les émeutes », commente Christophe Korell.
Quel positionnement également adoptera la famille de la victime ? Diffusera-t-elle un message d’appel au calme, ce qui aurait assurément un poids ? Quoi qu’il en soit, le gouvernement est sur tous les fronts pour souligner son implication : les agendas de tous les ministres ont été suspendus, les mots pour qualifier le geste de ce policier sans appel. Objectif : ne pas laisser la situation dégénérer.