Agression d’Yvan Colonna : Radicalisé, impulsif, virulent… L’inquiétant profil du suspect
ENQUETE Selon nos informations, le suspect, qui a été condamné pour des faits de terrorisme, a expliqué son geste aux enquêteurs par un « blasphème envers Dieu » de la part du militant indépendantiste corse
- Yvan Colonna a été agressé jeudi par un détenu condamné à neuf années de détention pour « association de malfaiteurs en vue de la préparation d’un acte de terrorisme ». Il est hospitalisé à Marseille et se trouve ce jeudi dans le coma. Son état est stable selon son avocat.
- Le suspect, âgé de 36 ans, a été placé en garde à vue. Selon nos informations, ce détenu radicalisé a expliqué son geste aux enquêteurs par un « blasphème envers Dieu » attribué à Yvan Colonna.
- Pour l’avocat de la famille du « berger de Cargèse », condamné pour l’assassinat en 1998 du préfet Claude Erignac, cette agression soulève « énormément de questions ».
Alors qu'Yvan Colonna est toujours hospitalisé à Marseille dans un état grave, les investigations se poursuivent afin de comprendre les motivations de son agresseur. L’enquête a pris une tournure nouvelle, ce jeudi, après que le parquet national antiterroriste s’est saisi des faits. Une décision justifiée par le profil du suspect, Franck Elong Abe, un djihadiste condamné le 20 avril 2020 à neuf ans de prison avec une période de sûreté des deux tiers pour association de malfaiteurs en vue de préparer des actes de terrorisme. La durée de sa garde à vue pour « tentative d’assassinat en relation avec une entreprise terroriste » peut désormais être portée à 96 heures.
Les premiers éléments de l’enquête, confiée à la Sdat, à la police judiciaire de Marseille et à la DGSI, semblent exclure un différend d’ordre personnel. Selon nos informations, le suspect a expliqué son geste aux enquêteurs par un « blasphème envers Dieu » attribué à Yvan Colonna. Franck Elong Abe est soupçonné d'avoir tenté d’étrangler et d'étouffer Yvan Colonna, mercredi matin, alors que les deux détenus se trouvaient seuls dans la salle de musculation de la prison d’Arles où, depuis dix ans, le berger corse, âgé de 61 ans, purge sa peine de réclusion criminelle à perpétuité pour l’assassinat du préfet Erignac en février 1998.
« Instabilités psychiatriques »
Une fois l’alerte déclenchée, la victime a été secourue par les personnels de l’unité sanitaire de la prison, qui ont pratiqué un massage cardiaque. Pris en charge par le Smur et les pompiers, Yvan Colonna a été transporté à l’hôpital d’Arles avant d’être transféré dans la soirée à Marseille. Le célèbre détenu Corse, qui se trouve dans un coma post-anoxique – consécutif à une privation d’oxygène dans le cerveau –, était ce jeudi dans un état « stable » selon l’un de ses avocats, Me Patrice Spinosi, précisant qu’il n’était pas en état de mort cérébrale, comme l’affirmaient pourtant plusieurs sources mercredi.
L’enquête vise à déterminer si Franck Elong Abe avait prémédité son geste. Selon une source sécuritaire, le suspect, qui s’est converti à l’Islam, est décrit comme étant « radicalisé », « impulsif et virulent », « souffrant aussi d’instabilités psychiatriques qui lui ont valu plusieurs séjours en unités psychiatriques ».
En 2011, ce Camerounais de 36 ans rejoint l’Afghanistan pour combattre aux côtés de groupes terroristes. Capturé par les militaires américains en 2012, il passe deux années en détention à Bagram, la principale prison militaire d’Afghanistan, située à une soixantaine de kilomètres de Kaboul. Il est finalement rapatrié en France en 2014 et échoue en prison à Rouen, en Normandie, où il a passé une partie de sa jeunesse. En avril 2016, il est condamné à neuf années de détention.
« Un homme renfermé »
Entretemps, Franck Elong Abe s’est fait remarquer à plusieurs reprises en détention. Alors qu’il est incarcéré à Rouen, il tente de se suicider en février 2015. Transféré le mois suivant à l’hôpital-prison de Seclin, dans le Nord, il tente de s’évader après avoir menacé une jeune interne en psychiatrie avec un objet pointu. Pour ces faits, il écope de quatre années de prison supplémentaires. En octobre 2019, le suspect se retrouve une nouvelle fois devant un tribunal. Il est jugé à Alençon (Orne) pour avoir dégradé et incendié sa cellule à 14 reprises entre juillet et août 2019. Il est condamné à 9 mois de prison. Pour exécuter sa peine, il est transféré de la prison de Condé-sur-Sarthe (Orne) à Arles le 17 octobre 2019. Là-bas, il assurait l’entretien des salles au rez-de-chaussée en qualité d’auxiliaire d’étage.
« C’est une marque de confiance car on permet à ce détenu de se déplacer plus facilement dans la prison avec des balais, des produits d’entretien », note une source pénitentiaire. Une décision prise en commission par la direction de l’établissement, avec l’aval de la direction interrégionale de l’administration pénitentiaire, mais qui a étonné de nombreux surveillants. En effet, Franck Elong Abe était « renfermé et dialoguait peu avec le personnel. Ce choix n’était pas judicieux », poursuit notre source. Un représentant du syndicat Ufap-Unsa justice estime qu’il serait nécessaire de créer des établissements « accueillant des détenus aux profils ciblés, parmi lesquels ceux condamnés pour des affaires de terrorisme ».
« Enormément d’interrogations »
Pour l’avocat d’Yvan Colonna et de sa famille, Me Patrice Spinosi, cette agression soulève « énormément d’interrogations ». « Comment le suspect a-t-il pu devenir auxiliaire alors qu’il est manifestement dangereux ? Comment ces deux détenus, particulièrement surveillés, ont-ils pu se retrouver seuls dans la même pièce, sans surveillance ? »
L’avocat observe aussi que les gardiens sont intervenus après que Franck Elong Abe soit sorti de la salle de sport pour prévenir qu’Yvan Colonna avait fait un malaise. « Alors qu’il y a une caméra de surveillance dans la pièce, pourquoi n’y a-t-il eu aucune intervention ? » Avant de conclure : « Il y a quelque chose de complètement inacceptable. Les conditions de cette agression sont incroyables pour la famille d’Yvan Colonna. »