Incendie meurtrier à Paris en 2019 : La suspecte sera finalement jugée devant la cour d’assises

ENQUETE Souffrant de troubles psychiatriques, une femme de 43 ans a été reconnue responsable pénalement et sera jugée pour avoir déclenché un incendie dans un immeuble à Paris en février 2019

Thibaut Chevillard
Dix personnes avaient été tuées, 47 autres blessées dans l'incendie de l'immeuble
Dix personnes avaient été tuées, 47 autres blessées dans l'incendie de l'immeuble — BENOÎT MOSER / BSPP - BRIGADE DE SAPEURS-POMPIERS DE PARIS / AFP
  • Dans la nuit du 4 au 5 février 2019, un incendie s’était déclaré au deuxième étage d’un immeuble de la rue Erlanger, dans le 16e arrondissement de Paris. Dix personnes avaient été tuées, 47 autres blessées.
  • Essia B., qui habitait cet immeuble, avait été interpellée – en état d’ébriété et après avoir consommé du cannabis – alors qu’elle tentait de mettre le feu à une voiture. Quelques jours auparavant, elle était sortie d’un séjour de deux semaines en hôpital psychiatrique, le treizième en dix ans.
  • Les experts qui l’ont examinée ont souligné la « personnalité borderline » de la mise en cause. Mais ils estiment que ses troubles psychiatriques ont « altéré » – et non aboli – son discernement.

L’information judiciaire devait répondre à cette question : atteinte de troubles psychiatriques, Essia B. était-elle responsable de ses actes lorsqu’elle a mis le feu à un immeuble de la rue Erlanger, dans le 16e arrondissement de  Paris, en février 2019 ? Ou ses troubles avaient-ils aboli son discernement ? Après trois ans d’instruction, la réponse est tombée mardi.

Cette femme, âgée aujourd’hui de 43 ans, sera bien jugée devant la cour d’assises pour avoir causé l’incendie le plus meurtrier dans la capitale depuis 2005 :  10 morts, 46 blessés. Une source judiciaire indique à 20 Minutes qu’elle comparaîtra pour « destruction par incendie de nature à créer un danger pour les personnes, destruction par incendie de biens, destruction par incendie ayant entraîné la mort et destruction par incendie ayant entraîné des blessures ».

Le soir du drame, un peu après minuit, Essia B. s’était disputée avec un voisin. Elle avait jeté une bouteille sur ce pompier qui lui demandait de « respecter le voisinage en faisant moins de bruit », avait expliqué lors d’une conférence de presse l’ancien procureur de la République de Paris, Rémy Heitz. Les policiers s’étaient rendus sur place quelques minutes plus tard. Devant eux, la suspecte avait tenu des « propos confus ou décousus ».

Les agents étaient repartis sans l’interpeller après « s’être assurés qu’elle était rentrée chez elle calmement », avait indiqué le magistrat. Dans le hall, elle avait ensuite recroisé son voisin « qui avait quitté l’immeuble pour éviter toute nouvelle difficulté », et lui avait lancé froidement : « Regarde-moi dans les yeux. Toi qui aimes les flammes, ça va te faire tout drôle quand tout va exploser ! »

13 séjours en hôpital psychiatrique

Le voisin était remonté dans les étages et avait constaté « un important voile de fumée et une odeur typique de celle d’un incendie ». A 0h44, les pompiers arrivaient sur les lieux alors que les flammes ravageaient le bâtiment. Essia B., elle, était interpellée par la police, rue de Géricault, alors qu’elle avait incendié des poubelles et qu’elle tentait de mettre le feu à un véhicule.

Les policiers avaient alors fait le lien avec l’incendie qui ravageait l’immeuble situé un peu plus loin. La mise en cause, qui était en état d’ébriété, avait été placée en garde à vue. Elle était aussi positive au cannabis, à la cocaïne et aux benzodiazépines. En raison de son état de santé, sa garde à vue avait été suspendue et elle avait été admise à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police.

Quelques jours auparavant le drame, Essia B. était sortie de l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne où elle était restée douze jours. Elle y a fait 13 séjours entre 2009 et 2019. Mais les experts qui l’ont examinée estiment que ses troubles psychiatriques ont « altéré » – et non aboli, son discernement. Même s’ils soulignent la « personnalité borderline » de la suspecte – ils excluent « un comportement induit par des hallucinations ou une activité délirante ». Selon eux, les faits peuvent être « rattachés à l’impulsivité, à l’intolérance aux frustrations et à l’effet de l’alcool consommé » par la mise en cause.

Un soulagement pour les parties civiles

Pour les parties civiles et les victimes, la nouvelle de son renvoi devant une cour d’assises est un soulagement. « C’est une excellente nouvelle », explique à 20 Minutes Me Manuel Abitbol, qui défend les parents d’une jeune femme de 23 ans décédée dans l’incendie. Depuis le drame, la mère de la victime est traumatisée et restée mutique. « Très fier de son parcours », son père « espérait la tenue de ce procès afin de pouvoir témoigner et parler de sa fille qui venait d’obtenir son diplôme d’expert-comptable et qui était en train de construire sa vie ».

« On ne peut que se réjouir d’une comparution devant une cour d’assises », complète Me Deborah Meier-Mimran, qui représente une vingtaine de parties civiles. « L’important, c’est que nos clients victimes aient la parole, qu’ils soient entendus. Ils auront toute leur place dans une enceinte de justice », poursuit-elle. « C’est très important pour eux. Ils pourront expliquer comment leur vie a été bouleversée depuis quasiment trois ans, parler de leur traumatisme, de leurs préjudices. Ils attendent évidemment une condamnation et qu’une vérité judiciaire émerge de cette procédure et de ce drame. »

L’avocat d’Essia B., Me Sébastien Schapira, n’a pu être joint ce mercredi par 20 Minutes.