Attaque à la Préfecture de police : Des députés dénoncent des « dysfonctionnements majeurs » à la direction du renseignement
ENQUETE Les membres de la commission d’enquête parlementaire sur l'attaque de la Préfecture de police de Paris ont présenté un premier bilan de leurs travaux ce mercredi
- Un agent de la Préfecture de police de Paris a tué quatre de ses collègues en octobre 2019. Le parquet national antiterroriste s’est saisi de cette enquête.
- Les députés de la commission d’enquête créée à la suite de cette attaque ont présenté, ce mercredi, un premier bilan de leurs auditions pour comprendre les dysfonctionnements ayant conduit à l’attaque.
- Selon eux, la DRPP n’a pas été capable de détecter la radicalisation de cet agent administratif et fait même preuve « d’amateurisme » dans ce domaine.
Eric Ciotti ne mâche pas ses mots. Mickaël Harpon, l’informaticien de la Préfecture de police qui a tué quatre fonctionnaires le 3 octobre 2019, « n’aurait jamais dû, compte tenu des signes qu’il a émis, rester à la direction du renseignement ». « Il n’y avait pas sa place, il n’y avait plus sa place », a expliqué lors d’une conférence de presse le président de la commission d’enquête parlementaire créée à la suite de cette attaque. Durant plus d’une heure, ce mercredi, l’élu LR des Alpes-Maritimes a, avec le député LREM de la Gironde, Florent Boudié, étrillé la DRPP (direction du renseignement de la préfecture de police) à laquelle appartenait le fonctionnaire. Un service de renseignement où « la détection et la prévention de la radicalisation étaient insuffisantes ».
Les membres de cette commission, qui rendront leur rapport définitif en avril, ont même été « sidérés » par « l’accumulation de dysfonctionnements majeurs, structurels, fonctionnels et organisationnels » au sein de cette direction comprenant 800 agents, tous habilités secret-défense. Au fil de la trentaine d’auditions qu’ils ont déjà menées, les députés ont découvert que Mickaël Harpon avait bien montré des signes de radicalisation « qui auraient dû être pris en compte » par sa hiérarchie, poursuit Eric Ciotti. Il cite notamment son « mariage religieux » qui a eu lieu en 2008 ou en 2009, « sa conversion à l’islam » et la « modification de son comportement ». « Il ne faisait plus la bise à certaines de ses collègues féminines », dénonce l’élu.
Pas de « culture de la vigilance »
Et il y a « cet incident très grave », survenu quelques mois après les attentats de janvier 2015. Alors qu’un de ses collègues consulte la presse, Mickaël Harpon lui assène que les journalistes de Charlie hebdo « n’auraient jamais dû » caricaturer le prophète Mahomet. Avant de lancer : « c’est bien fait ! » S’ensuit une vive discussion. Des fonctionnaires rapportent bien cet incident à la personne « en charge du recueil des signalements de la radicalisation » à la Préfecture de police, mais seulement de façon « informelle ». De même, un chef de section, « qui a été informé par un de ses subordonnés de l’altercation, n’a pas fait remonter l’information à sa hiérarchie ».
« Rien n’a été fait, rien n’a été formalisé, rien n’a été remonté réellement, semble-t-il, pour faire en sorte que ces éléments soient pris en compte », déplore Eric Ciotti, regrettant l’absence d’une « culture de la vigilance » au sein de cette direction pourtant sensible. « Mickaël Harpon n’aurait pas dû être recruté, il ne serait pas resté à la DRPP si les processus de signalement, de détection, de vigilance appliqués dans d’autres services de renseignement, la DGSE ou la DGSI, avaient été en œuvre dans ce service », ajoute Florent Boudié, soulignant « l’amateurisme » régnant dans cette direction.
Les deux députés ont bien remarqué qu’avec l’arrivée de Françoise Bilancini à la tête de la DRPP en avril 2017, il y avait eu « des changements de comportements ». Mais « on partait de très loin », estime le député de la Gironde. Avant d’ajouter : « Il faut monter le degré de sécurité de la DRPP ou intégrer sa mission de sécurité intérieure au sein de la DGSI ». Les deux parlementaires ont laissé entendre que leur préférence allait vers un rattachement à la DGSI.
Difficulté de « caractériser la radicalisation »
Depuis l’attaque du 3 octobre 2019, 46 signalements de radicalisation ont été transmis au préfet de police, Didier Lallement, et quatre fonctionnaires ont été suspendus « le temps de faire des vérifications », explique à 20 Minutes un haut fonctionnaire de la Préfecture de police. Selon ce dernier, il était « quasiment impossible » de détecter la radicalisation de Mickaël Harpon. « Sa femme n’est pas radicalisée et a été remise en liberté. Il n’était pas dans un parcours de radicalité, quelle que soit la religion qu’il s’était choisi. Il y a aussi une part d’affaissement psychique même si le mode opératoire est caractéristique des attentats. »
Et ce proche du dossier de souligner la difficulté de « caractériser la radicalisation » dans les rangs policiers. « Nous avons des grilles de lecture pas forcément appropriées, en même temps, on ne peut pas suspecter tous les gens faibles… Même si c’est un peu ça qu’il faudrait faire. »