Incendies attribués à l’extrême gauche en Isère : pourquoi le parquet national antiterroriste ne s’est pas saisi
ENQUETE Le nouveau parquet national antiterroriste ne se saisira de l’enquête sur un incendie criminel revendiqué par la mouvance « ultra-gauche libertaire », comme le lui demandait le procureur de Grenoble
- Une quinzaine de dégradations et d’incendies ont eu lieu dans l’agglomération grenobloise depuis le printemps 2017.
- « L’ensemble de ces destructions, concernant aussi bien des sociétés que des biens publics, revendiquées par l’ultra-gauche libertaire, peuvent être considérées comme des attentats terroristes », a estime le procureur de la République de Grenoble qui demandait la saisine du Pnat (parquet national anti terroriste).
- Mardi, le Pnat lui a fait savoir qu’il ne se saisira pas de ces enquêtes.
Il espérait une autre réponse. Après l’incendie criminel d’un entrepôt d’Enedis, dans la nuit de dimanche à lundi à Seyssinet ( Isère), le procureur de la République de Grenoble avait demandé au Pnat (parquet national antiterroriste) de se saisir des actes revendiqués par « l'ultra-gauche libertaire ». Une quinzaine d’infractions commises dans la région depuis trois ans, qui « peuvent être considérés comme des attentats terroristes », estime Eric Vaillant. Mais ce mardi, le Pnat lui a fait savoir qu’il ne se saisira pas de ces affaires. « C’est le fonctionnement institutionnel normal », a indiqué le magistrat à la presse, ajoutant qu’il renouvellera sa demande « si d’autres faits de même type devaient intervenir ».
Incendies de casernes de gendarmerie, d’une salle du conseil municipal de Grenoble, d’une église du centre-ville, des locaux de France Bleu Isère, des biens d'Enedis… Depuis le printemps 2017, « l’ultra gauche libertaire » a revendiqué sur internet « l’ensemble de ces destructions » commises dans l’agglomération grenobloise.
Une revendication floue
Pourquoi le Pnat n’a-t-il pas répondu favorablement à sa requête ? « La situation dans la région n’est pas nouvelle », explique une source proche du dossier à 20 Minutes. « Il y a eu une série de faits similaires depuis 2017, revendiquée par la mouvance ultra-gauche. A l’époque, le parquet de Grenoble s’était rapproché de la section C1 du parquet de Paris [compétente à l’échelle nationale pour les affaires terroristes avant la création du Pnat en 2019], qui ne s’était pas saisie, estimant que ces faits n’entraient pas dans le cadre d’une entreprise terroriste ». Selon cette source, « le dernier fait ne change pas la donne concernant un éventuel motif terroriste des faits ».
D’autre part, le Pnat a observé que le « mobile » de l’incendie de l’entrepôt d’Enedis ne semblait pas terroriste. En effet, dans une lettre de revendication postée sur le site alternatif Indymedia, les auteurs des faits, qui se qualifient de « disjonctés tenant tête », dénoncent une « vague de perquisitions qui a déferlé fin novembre à Grenoble, Fontaine et sur la ZAD de Roybon ». Cette dernière, installée dans une forêt iséroise, vise à lutter contre l’implantation d’un parc aquatique par le groupe Center Parcs. Dans ce texte, les auteurs souhaitent aussi « que les attaques continuent à se propager ».
Moyens d’enquête
Si le procureur de la République de Grenoble a demandé la saisine du Pnat, c’est en raison des difficultés rencontrés par les gendarmes pour mener leurs investigations. « Les auteurs des faits sont particulièrement prudents et vigilants, avait souligné Eric Vaillant. Nous avons affaire à un groupe très organisé. » Selon lui, une qualification terroriste permettrait d’avoir « des moyens différents » pour retrouver les auteurs des faits. Un magistrat, fin connaisseur de ces affaires, ne cache pas son étonnement. « Les moyens d’enquêtes autorisés dans les affaires de criminalité organisée sont désormais presque les mêmes que pour les affaires de terrorisme. Les gardes à vue sont un peu plus longues et il y a peut-être un peu plus de moyens humains. »
De manière générale, le Pnat traite principalement d’affaires concernant le terrorisme islamiste. Les magistrats spécialisés ont sur leurs bureaux quelques dossiers en lien avec l’extrême droite. Mais la dernière saisine connue de la justice antiterroriste pour des faits liés à l’ultra-gauche remonte à l’affaire de Tarnac, en 2008. La qualification terroriste avait finalement été abandonnée, et la quasi-totalité des huit prévenus de ce groupe libertaire de ce village de Corrèze avaient été relaxés à l’issue de leur procès en avril 2018.