Pourquoi l’absentéisme des salariés français est-il en hausse ?

Je suis Malade Depuis trois ans, le taux d’absentéisme au travail augmente en France, note le Datascope d’Axa publié ce lundi, une tendance qui pourrait être liée à la pandémie de Covid-19

Diane Regny
— 
En 2022, près d'un salarié sur deux (44%) a été arrêté au moins une fois dans l'année. (PHOTO D'ILLUSTRATION)
En 2022, près d'un salarié sur deux (44%) a été arrêté au moins une fois dans l'année. (PHOTO D'ILLUSTRATION) — Canva
  • Depuis trois ans, le taux d’absentéisme au travail augmente en France, note le Datascope d’Axa publié ce lundi.
  • En 2022, 44 % des salariés se sont arrêtés au moins une fois, une tendance qui ne cesse de croître dans l’Hexagone.
  • Pour mieux comprendre ce phénomène, 20 Minutes s’est penché sur ces arrêts, l’épuisement au travail et les pistes pour enrayer le phénomène avec l’éclairage d’Anne Jacquelin, docteure en sociologie du travail et des organisations.

Edit : A l’occasion de la publication d’une étude du cabinet de conseil WTW qui pointe la hausse de l’absentéisme parmi les salariés français, nous vous proposons à la relecture cet article qui analysait déjà le phénomène en mai dernier.

La boîte mail tintinnabule. Un nouveau message est arrivé mais personne n’est là pour y répondre. Cette énième demande restera lettre morte. Du moins le temps que le salarié revienne de son arrêt maladie. C’est une scène qui se répète de plus en plus fréquemment en France. Les arrêts maladie augmentent pour la troisième année consécutive, d’après la quatrième étude de l’Observatoire de l’absentéisme publiée ce lundi par le Datascope d’Axa.

En 2022, près d’un salarié sur deux (44 %) a été arrêté au moins une fois dans l’année. Mais l’absentéisme est-il vraiment un phénomène d’importance en France ? Pourquoi les burn-out explosent-ils ? Et quelles pistes sont envisagées pour inverser cette tendance ? 20 Minutes fait le point pour vous grâce à l’analyse d’Anne Jacquelin, docteure en sociologie du travail et des organisations.

L’absentéisme au travail se consolide-t-il en France ?

C’est en tout cas les résultats du baromètre rendu public par le Datascope d’Axa. Basée sur les données anonymisées des 3 millions de salariés couverts par l’assurance, l’étude montre que 44 % des salariés ont été arrêtés au moins une fois en 2022, contre un tiers des salariés analysés par Axa en 2021. « La pandémie de Covid-19 a toujours un impact sur l’absentéisme. La courbe est en forme de cloche qui devrait retomber quand les choses seront rétablies », estime Anne Jacquelin. Tout en précisant que ces données ne sont pas représentatives des actifs français, car elles ne concernent que ceux qui sont couverts par Axa. « Les difficultés conjoncturelles, la crise économique, le fait que moins de médecins soient disponibles : toutes ces raisons entraînent plus d’arrêts maladies », avance la docteure en sociologie du travail et des organisations.

Par exemple, de nombreuses maladies graves ont été décelées tardivement à cause de la pandémie. La prise en charge est donc plus lourde pour ces employés. « La question de la santé initiale des travailleurs joue. Certains n’ont pas eu accès à un parcours de soins serein depuis plusieurs années », note Anne Jacquelin. De plus, l’inflation galopante étrangle les ménages et certains employés cumulent les emplois pour s’en sortir. « J’ai beaucoup travaillé sur la question des soignants et j’ai vu des aides-soignantes et des ASH - qui font le ménage dans les lieux de soin - se mettre en arrêt pour faire de l’intérim et boucler leurs fins de mois », illustre la sociologue.

Pourquoi la part des arrêts pour épuisement psychologique augmente-t-elle ?

Avant la pandémie, les troubles musculosquelettiques étaient les premiers responsables des arrêts de longue durée. Cette année, l’étude montre que l’épuisement professionnel - ou burn-out - est passé à la première place. 22,2 % des arrêts de travail de longue durée lui sont imputés. Pour comprendre les risques psychosociaux, il faut rappeler les six catégories dans lesquels ils s’inscrivent : intensité et temps de travail, exigences émotionnelles, manque d’autonomie, rapports sociaux au travail dégradés, conflits de valeurs et insécurité de la situation de travail. « Beaucoup de travailleurs qui ont tenu, voire se sont suradaptés, pendant le Covid craquent aujourd’hui. Il y a un cumul, un épuisement », décrypte Anne Jacquelin.

« Certains d’entre eux, notamment dans le secteur de la santé, ont fait des efforts surhumains et n’ont obtenu aucune reconnaissance », ajoute-t-elle. Dans la plupart des milieux professionnels, « la pandémie a été un moment extrêmement violent et le retour à la normale est difficile à digérer pour de nombreuses personnes. Certains employeurs qui avaient mis en place des dispositifs pour mieux concilier la vie professionnelle et personnelle sont violemment revenus dessus », rappelle la sociologue. Le coronavirus a aussi donné à de nombreux salariés le désir de mieux articuler leur vie personnelle et leur emploi. Une vague d’espoir qui s’est souvent écrasée contre les rochers du marché du travail.

Comment peut-on endiguer le phénomène ?

« Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise méthode », estime Anne Jacquelin qui invite à croiser l’absentéisme avec le nombre de jours de congé par an ou encore la charge de travail afin de poser la question du « répit ». « Il faut reconstruire le tissu associatif, les structures qui géraient les interstices de la vie des gens entre la maison et le travail et qui ont été achevées par la pandémie », conseille aussi la docteure en sociologie, citant les aides aux personnes âgées ou encore aux familles alors que beaucoup de Français sont aidants en plus de leur travail. De nombreux experts invitent aussi à se pencher sur la semaine de quatre jours. Quand elle est conjuguée à une baisse du temps de travail sans diminution du salaire, elle permet de diminuer drastiquement le taux d’absentéisme. Ainsi, l’entreprise lyonnaise Elmy, qui est passée de 39 à 32 heures par semaine sur quatre jours et sans perte de salaire, a divisé son absentéisme par quatre.

Enfin, il faut rappeler que les salariés, comme tous les êtres humains, tombent malades, n’en déplaisent aux assureurs. Dans son baromètre sur l’absentéisme en 2022, Malakoff Humanis estime qu’avec « plus de 40 % de salariés arrêtés chaque année, l’absentéisme maladie reste un problème majeur ». Mais est-ce véritablement un problème d’être absent quand on est malade ? Est-il anormal, sur une année, que moins d’un salarié sur deux soit temporairement absent pour raisons médicales ? D’autant que la courbe reste assez stable, 41 % des salariés étudiés par Malakoff se sont vus prescrire un arrêt de travail en 2016, contre 42 % en 2022. Alors que celui qui n’a jamais attrapé une grippe leur jette la première pierre.