Présidentielle 2022 : Pour Emmanuel Macron et Marine Le Pen, un entre-deux-tours de grands écarts politiques
STRATEGIE Les deux finalistes de la présidentielle sont apparus à front renversé pendant la campagne pour le second tour
- Marine Le Pen et Emmanuel Macron s'opposeront dimanche pour le second tour de l'élection présidentielle.
- Pour cet entre-deux-tours, le président sortant et son adversaire ont fait des choix diamétralement opposés à leur campagne de premier tour.
- Ils ont également tenté de séduire les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, aux idées parfois éloignées des leurs.
Dans une campagne présidentielle particulièrement atypique, l’entre-deux-tours n’aura pas détonné. Projet contre projet – ou plutôt rejet contre rejet. Le fait de voir s’opposer au « Tout sauf Le Pen » un « Tout sauf Macron » a brouillé profondément les lignes. Mais pas seulement. Sur le fond, Emmanuel Macron et Marine Le Pen se sont retrouvés à draguer un électorat très éloigné du leur. Les deux finalistes ont aussi adopté des stratégies de second tour totalement différentes de celles observées juqu’au 10 avril, presque à front renversé. Le débat de mercredi soir en étant le symbole : un sortant à l’attaque et une challengeuse qui temporise, ce n’était pas le scénario attendu.
Emmanuel Macron, dont l’emploi du temps diplomatique ne lui avait pas permis de faire plus de trois ou quatre sorties sur le terrain en un mois de campagne avant le premier tour, a subitement trouvé le temps de faire des déplacements. Dès le 11 avril, et presque tous les jours ensuite : Denain dans le Nord, Le Havre, Mulhouse, Saint-Denis, Marseille, Figeac… A part cette dernière ville, ce vendredi, presque uniquement des villes où Marine Le Pen ou Jean-Luc Mélenchon l’ont devancé le 10 avril.
Ces visites en terrain pas conquis « sont autant des opportunités que des risques », note le conseiller en communication Florian Silnicki, de l’agence La French Com. Et effectivement, ici ou là, Emmanuel Macron s’est fait attraper par le col par des électeurs et électrices vraiment pas convaincues. « Mais pour Marine Le Pen, c’est facile : elle va là où elle est tranquille », soulignait samedi un ténor de la majorité, en marge du meeting d’Emmanuel Macron.
Marine Le Pen en pleine lumière
Effectivement, lorsqu’elle va sur le terrain, la candidate du Rassemblement national choisit des terrains qui lui sont plus favorables. Elle a labouré le terrain de la France périphérique, périurbaine, avec de petits meetings, moins médiatiques. Une campagne à bas bruit qui a fait son succès au premier tour. Au contraire, depuis le 10 avril, elle s’est mise en pleine lumière, organisant notamment deux conférences de presse sur son projet de réforme des institutions et sur l’international – sujet ô combien sensible dans le contexte de la guerre en Ukraine. En sont ressorties deux polémiques, une première sur son référendum anticonstitutionnel pour changer la Constitution, la seconde sur son désir de voir l’Otan s’allier avec la Russie une fois la guerre en Ukraine terminée. Et sur la forme, son tri revendiqué entre les journalistes et l’exclusion manu militari d’une manifestante pro-ukrainienne n’ont pas manqué de « rediaboliser » Marine Le Pen.
La députée d’Hénin-Beaumont a pourtant bien tenté de poursuivre son entreprise de dédiabolisation en vue du second tour. Sur la question du voile, qu’elle veut interdire dans l’espace public, elle a semblé louvoyer : « C’est un problème complexe », avait-elle dit samedi. Comme si elle ne voulait pas braquer les électeurs et électrices de Jean-Luc Mélenchon, la principale réserve de voix. Et puis mercredi soir, lors du débat, Marine Le Pen est revenue sur une position rigoriste d’interdiction pure et simple.
Emmanuel Macron s’est aussi essayé à faire des appels du pied à l’électorat de Jean-Luc Mélenchon, et de manière assez spectaculaire après un premier tour particulièrement droitier : il s'est dit prêt à arrêter sa réforme des retraites à 64 ans au lieu de 65, mais a surtout réalisé un virage écologiste remarqué.
La peur
C’est dans la logique de l’élection présidentielle française de tenter d’élargir, voire d’adapter son programme : Nicolas Sarkozy a chassé sur les terres du FN pour espérer l’emporter en 2012, Ségolène Royal sur celles de François Bayrou en 2007… Ce qui est nouveau c’est que, pour la première fois, il fallait séduire des électrices et électeurs pas immédiatement voisins, mais très éloignés. C’est sans doute cette particularité-là qui a rendu ce deuxième tour si peu lisible.
Finalement, à la veille du second tour, l’avantage d’Emmanuel Macron s’est nettement creusé depuis le 10 avril. Son avance n’allait que de 2 à 6 points dans les enquêtes juste après le premier tour, elle est désormais de 10 à 15 points dans les enquêtes les plus récentes. Des sondages qui ne prennent pas tous en compte les effets du débat de mercredi soir.
Les clins d’œil envoyés à la gauche d’Emmanuel Macron ont-ils convaincu ? Le sondeur d’Ipsos Mathieu Gallard est sceptique : « Certes, les reports de Jean-Luc Mélenchon sur Emmanuel Macron sont un peu meilleurs mais, dans nos enquêtes qualitatives, il est évident que c’est un effet de la rediabolisation de Marine Le Pen d’entre les deux tours. » Malgré la volonté affichée par le camp Macron de faire une campagne « projet contre projet », au fond, face à l’extrême droite, il semble que ce soit toujours la peur qui l’emporte. Pour le moment.