Présidentielle: «On vit la première campagne vraiment transmédias»
INTERVIEW Benoît Thieulin, directeur associé de l'agence Internet La Netscouade et spécialiste du Web social, revient pour «20 Minutes» sur le rôle et l'impact des outils numériques dans la campagne électorale...
Ces derniers mois, les candidats à la présidentielle ont redoublé d’efforts pour renforcer leur présence sur le Web. Nicolas Sarkozy a lancé une Timeline très documentée sur Facebook et s’est créé un compte Twitter. Réseau social sur lequel François Hollande, qui tweete tous les jours, est devenu le candidat le plus suivi avec plus de 200.000 abonnés aujourd’hui. A côté de cela, Google vient de lancer en France une plateforme consacrée à l’élection présidentielle. Internet serait-il réellement incontournable dans le débat public aujourd’hui, et en particulier en cette période électorale? Benoît Thieulin, directeur associé de La Netscouade, revient sur le rôle et l’impact des outils numériques dans la campagne.
Comment mesurer l’impact d’Internet aujourd’hui dans le débat politique et plus précisément en cette période d’élection présidentielle?
Je vais vous décevoir. On ne sait pas vraiment quel est l’impact. Mais vous savez, on ne connaît pas davantage l’impact de la télévision. Il y a encore des gens qui discutent pour savoir si le débat télévisé entre Giscard et Mitterrand en 1974 où il dit «vous n’avez pas le monopole du cœur», c’est ça qui a fait perdre Mitterrand ou pas. Ça reste l’alchimie mystérieuse d’une élection. Cela dit, on a quand même aujourd’hui des moyens de savoir qu’Internet est devenu l’espace principal du débat public. Les gens discutent devant la machine à café, dans les cafés, mais le font plus aujourd’hui sur Internet. Dans votre vie quotidienne vous allez passer une bonne partie de votre journée au travail ou autre sur Internet, surtout les jeunes générations. Et vous allez discuter de l’actualité. Il y a parfois des choses très futiles mais vous allez aussi parler de politique à un moment donné. Il y a une grande conversation numérique qui a lieu sur les médias sociaux aujourd’hui. Quand on est en campagne, cette conversation se déporte sur les sujets de l’actualité de la campagne.
Les réseaux sociaux sont vraiment au cœur de ce débat selon vous?
Oui. Trente millions de Français sont sur Facebook. Cinq millions sur Twitter. On ne peut plus dire aujourd’hui que les médias sociaux sont un truc de geek. Les gens y discutent et débattent.
Cinq millions de Français sur Twitter, c’est quand même peu par rapport à la population globale…
C’est vrai que ce n’est pas beaucoup. Mais combien de gens regardent une émission de télévision? Prenez un talk show politique qui marche bien. C’est entre trois et neuf millions de téléspectateurs. Cinq millions de Français sur Twitter, c’est loin des 30 millions qu’il y a sur Facebook, mais c’est quand même pas mal.
Ce qui me semble assez marquant dans cette campagne, c’est qu’on vit probablement la première campagne vraiment transmédias. Il n’y a plus d’un côté Internet puis de l’autre la télévision, les gens sérieux, la presse, etc. Ça c’est fini. Vous regardez la télévision et en même temps, vous allez avoir votre mobile, suivre les commentaires sur Twitter. Il y a une complémentarité aujourd’hui des anciens et des nouveaux médias, même si la télé reste encore le média de masse le plus efficace.
La télé reste encore ce qu’il y a de mieux pour faire passer un message politique?
Quand vous voulez toucher des millions de personnes, leur donner un message, la télé c’est ce qu’il y a de mieux, oui. Internet ça ne sait pas très bien le faire. En revanche, la télé vous laisse un espace très limité. Quand vous êtes un homme politique et que vous devez expliquer des choses compliquées, sur Internet vous avez le temps. Quand vous passez à la télé, vous allez inciter les gens à venir sur vos sites, vers des contenus et vidéos qui vont compléter ce que vous dites. Il y a un débat parallèle qui se crée sur Internet. C’est complémentaire.
Grâce à leurs équipes Web, les candidats mettent tout en œuvre pour être présents partout sur Internet (site officiel, comptes Facebook, Twitter, Google+). La campagne de Barack Obama en 2007 a-t-elle vraiment été le tournant? On dit souvent que les candidats s’inspirent du président américain.
Le vrai tournant en France c’est 2005 avec le débat sur le traité constitutionnel européen. C’est à ce moment-là que la vraie campagne politique en France s’est passée sur Internet. Avec le succès que l’on sait puisque la blogosphère qui était très «non-iste» a battu les plus grandes institutions, les principaux partis, les journaux qui les soutenaient, etc. Donc depuis 2005, les hommes politiques français sont terrorisés, ils ont compris que la campagne se jouait sur Internet. Cela dit, Barack Obama a achevé cette prise de conscience. Avec Obama les gens ont compris qu’on pouvait être quelqu’un qui n’avait pas forcément de soutien avant, qui n’était pas le candidat légitime du parti démocrate, et faire une campagne d’un nouveau genre et gagner à la fin. Ça reste quand même un fantasme parce qu’on est encore assez loin de ce phénomène en France.