Comment les Français s'imaginent-ils travailler dans 20 ans?

PROJECTION L'institut Harris Interactive a demandé aux citoyens comment ils envisagent le marché du travail en 2035...

Céline Boff
Illustration emploi
Illustration emploi — PHILIPPE HUGUEN / AFP

A quoi ressemblera le monde du travail dans 20 ans? Harris Interactive a posé cette question aux Français (voir encadré). Il s’en dégage cinq idées que 20 Minutes vous décrypte en exclusivité.

1) Nous aurons plusieurs emplois en même temps

C’est ce que pensent plus de huit Français sur dix (81%).

Ce qu’en dit l’expert: Stéphane Auray, professeur d’économie à l’Ecole de la statistique et de l’analyse de l’information (Ensai): «Les Français s’imaginent que le cumul d’emplois est une tendance récente, mais c’est faux. En 2000, près de 4% des actifs déclaraient occuper plusieurs emplois, contre 2% en 1983. Mais, depuis, la progression ralentit: en 2010, 4,1% des actifs étaient concernés. Si ce phénomène s’est développé depuis trente ans, il reste marginal et il ne se généralisera pas, d’autant plus que nous n’avons pas de contrat unique en France. Je serai par exemple fort surpris qu’en 2035, 8% des actifs puissent être concernés».

2) Nous travaillerons plus longtemps

39% des Français pensent que la durée légale du travail sera supérieure à 35 heures par semaine. Seuls 11% estiment qu’elle sera moins longue et 18%, équivalente. 31% pensent qu’il n’y aura plus de durée légale.

Ce qu’en dit l’expert: Gilbert Cette, professeur d’économie à l’université Aix-Marseille: «Les gains de productivité, qui ont permis de financer la hausse du pouvoir d’achat et la baisse du temps de travail depuis la fin du XIXe siècle, s’amenuisent. Le travail se réorganise: il est de plus en plus lié à une charge et non à une durée. Enfin, le développement des nouvelles technologies affaiblit les frontières entre vies professionnelle et personnelle. Tout cela va aller en s’accentuant dans les dix ans qui viennent et le temps de travail devrait s’allonger. Mais il est difficile de se projeter au-delà puisque nous ne pouvons pas anticiper les révolutions technologiques à venir.»

3) Nous télé-travaillerons régulièrement

77% des Français pensent que la plupart des citoyens feront du télétravail au moins une partie de la semaine.

Ce qu’en dit l’expert: Florence Loisil, chargée de mission à l’Agence pour l’amélioration des conditions de travail (Anact): «En 2005, le Centre d’analyse stratégique estimait que 50% des actifs télé-travailleraient en 2015… Ils ne sont en fait que 15%. Annoncé depuis 30 ans, l’avènement du télétravail se heurte toujours à la réticence des managers et des employeurs. Il se développe toutefois plus rapidement: 35 accords collectifs ont été signés en 2013, contre deux en 2005. Tous les éléments sont réunis pour favoriser son essor: le développement des nouvelles technologies, l’accroissement du coût de l’immobilier, la nécessité de limiter la pollution liée aux déplacements, etc. Mais je pense que si 30% des salariés télé-travaillent en 2035, ce sera déjà une belle révolution».

4) Nous ne serons pas remplacés par des robots

78% des Français pensent qu’ils ne seront probablement ou certainement pas remplacés par des robots dans leur métier.

Ce qu’en dit l’expert: Le cabinet de conseil Roland Berger: «Entre 1980 et 2012, l’automatisation a détruit 1,4 millions d’emplois. Jusqu’ici, les métiers industriels et peu qualifiés étaient les plus concernés. Si cette tendance se poursuit, une nouvelle vague d’automatisation touche désormais les emplois qualifiés. Avec le big data, la digitalisation et les machines apprenantes, les activités de service et intellectuelles ne sont plus épargnées. Nous estimons que du fait de la numérisation de l’économie, 42% des métiers sont potentiellement automatisables d’ici à 2035 et nous pensons qu’à l’horizon de 2025, cette transformation digitale pourrait détruire 3 millions d’emplois».

5) Nous serons toujours victimes du chômage de masse

36% des Français pensent que le taux de chômage sera plus élevé qu’aujourd’hui, 23% équivalent, 31% moins fort. Seuls 10% croient au retour du plein emploi.

Ce qu’en dit l’expert: Mathieu Plane, économiste à l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE): «En 15 ans, les Français ont été confrontés à trois crises majeures: l’éclatement de la bulle internet, les subprimes et les dettes souveraines. Il n’est pas étonnant qu’ils soient pessimistes, mais cela ne signifie pas qu’ils aient raison. Nous devrions retrouver de la croissance, le vieillissement de la population va libérer des postes… Un taux de chômage qui reste à 10% en 2035 est donc le scénario le plus noir que nous puissions imaginer. Moi, je crois au retour du plein emploi, à condition que la finance soit régulée, pour éviter le déclenchement d’une nouvelle crise.»

La méthodologie de l’étude

Enquête réalisée en ligne du 10 au 12 mars 2015 auprès d’un échantillon de 1.020 personnes représentatif des Français âgés de 18 ans et plus, sélectionné selon la méthode des quotas.