Coupe d’été : « Faire des mèches rapporte plus que de les couper »… La coloration, indispensable des coiffeurs
cinquante nuances de blond Colorer les cheveux ou décolorer les mèches pèsent un tiers du chiffre d’affaires des salons de coiffure en moyenne. Une nécessité économique qui doit néanmoins entamer à son tour sa révolution pour survivre
- C’est l’été et devant ce beau soleil (promis, il est de retour cette semaine pour la majorité du pays), de nombreux Français et Françaises sont tentés de se faire une couleur pour briller davantage dans le ciel bleu.
- Une envie qui ravit les salons de coiffure, pour qui la coloration représente une partie très importante du chiffre d’affaires, et s’avère bien plus rentable que les banals coups de ciseaux.
- Mais le secteur, en crise, connaît également « un tassement » du nombre de colorations, un peu passées de mode depuis le Covid et autres confinements.
De 2016 à 2018, le Real Madrid réussit l’exploit de remporter trois coupes d’Europe de football consécutives, faisant naître le mythe de « Ronaldo mèches blondes ». La légende raconte que quand l’attaquant portugais se teint les mèches de devant – sa routine capillaire du printemps, le Real écrase le continent. Un conte dont se souvient très bien Mathieu. Non pas que le Nîmois soit particulièrement madridista dans l’âme, mais son salon de coiffure En tête toute avait lui aussi connu son âge d’or : « Tous les jeunes – mon public cible – voulaient la même coupe que leur idole. Et faire des mèches, ça rapporte plus que de les couper ».
Cinq ans plus tard, Cristiano Ronaldo a quitté Madrid et le blond, mais la coloration, elle, continue de faire la pluie et le beau temps économique dans les salons de coiffure. Comptez un tiers du chiffre d’affaires chez Le Saint-Louis, à Brest (Finistère). Un bilan similaire à l’Union nationale des entreprises de coiffure (Unec). Son président, Christophe Doré – ça ne s’invente pas – fait le calcul : « La coloration représente entre 22 et 25 % du chiffre d’affaires des coiffeurs, auquel on peut ajouter les 7 à 8 % pour les décolorations et les mèches ». Un tiers au total, le compte est bon.
Plus de techniques, plus de rentabilités
À l’inverse, la coloration ne représente « que » 10,5 % des coûts pour les salons de coiffure en moyenne, soit un gain énorme selon Stéphanie Prat-Eymeric, secrétaire fédérale coiffure et esthétique pour le syndicat Force ouvrière. Pour l’experte, pas de doute : « La coloration reste l’un des processus les plus rentables et lucratifs ». L’équation de la coiffure peut se résumer simplement : plus c’est technique à réaliser et plus ça rapporte gros.
Christophe Doré rajoute une couche : « C’est un indispensable des salons de coiffure, on ne peut s’en passer ». Encore moins maintenant, où, loin des teintes blond platine, le milieu est plus en train de broyer du noir. Dans les six premiers mois de l’année, 602 procédures de liquidation, de redressement judiciaire et de sauvegarde ont été ouvertes. Soit 181 % de plus qu’en 2021, selon le cabinet Altares, qui n’exclut pas que le chiffre monte à 1.000 d’ici à fin décembre.
Plus que 4 passages chez le coiffeur par an pour les femmes
Cette situation tendue n’étonne pas Emilie, coiffeuse chez Monsieur et Madame à Lyon (Rhône). Elle-même l’a bien remarqué, entre le Covid, l’inflation et la mauvaise humeur sociale du pays, « les clients espacent de plus en plus leur prestation. Une personne qui venait tous les mois passera désormais toutes les six semaines ». L’Unec estime qu’en moyenne les femmes font quatre visites annuelles, et six pour les hommes. Des chiffres au plus bas.
Seule consolation pour la coiffeuse : « En venant moins, les clients sont moins regardants sur la dépense » et vont rayer des options les coiffures trop simplistes. Fini le coup de ciseau juste pour égaler la frange, il s’agit de marquer l’événement - à tout hasard, se refaire une couleur. La coloration apparaît justement comme le parfait compromis pour le client, estime Nathalie, du Saint-Louis. Un peu cher et avec un effet suffisant pour justifier le déplacement, mais pas excessivement coûteuse non plus pour le client. « On constate depuis l’inflation pas mal de renoncement à des techniques plus poussées et plus chères, comme les balayages ou les mèches, pour opter pour de ''simples'' colorations globales ». Moins chères, plus faciles à entretenir et plus durables.
Chassez le naturel, il revient aux ciseaux
Durer est désormais devenu l’impératif d’un passage chez le coiffeur. « Les clients et clientes reviennent à des couleurs beaucoup plus naturelles afin de moins marquer la différence avec leurs vrais cheveux, et ainsi de ne pas avoir à revenir trop souvent », note Emilie. « Le châtain naturel a notamment la côte ». Même constat chez Jimmy, dont les coups de ciseaux officient à Tête-à-Tête (Canet-en-Roussillon, Pyrénées-Orientales). Ici, on y vient dès le début des vacances d’été afin de parfaire sa couleur au soleil. Mais là aussi, « la coloration se veut moins extravagante qu’avant. On opte pour des teintes plus réalistes et plus vraies », loin du blond peroxydé d’autrefois.
Un naturel qui intervient même dans le choix des matières, puisque la coloration végétale a particulièrement la cote. Pour Christophe Doré : « C’est tout un secteur qui entame sa révolution pour s’adapter aux nouvelles attentes et rester dans les tendances ». Car la coloration, elle aussi, vit une légère crise. La part de son chiffre d’affaires a perdu quelques pourcentages. « Un petit tassement d’un 1 ou 2 % », estime le président de l’Unec.
Sois vieille et aime-toi
Le coupable est tout trouvé : le Covid. Pendant des semaines, privés de coiffeurs, Français et Françaises ont bien dû composer avec leur vraie couleur, où pour celles et ceux qui avaient eu la bonne idée de passer se refaire les tifs quelques jours avant la date fatidique, a minima leurs racines. De quoi habituer la population et faire un grand pas dans l’acceptation du cuir chevelu tel qu’il est. « Notamment pour le cheveu blanc, qui n’est plus un tabou sociétal », note Pascale Hébel, économiste spécialisée dans le comportement des consommateurs et directrice associée du cabinet de conseil en marketing C-Ways.
Conclusion : « Là où le vieillissement de la population aurait dû représenter une opportunité économique pour le secteur, ce n’est plus une évidence ». Autre facteur potentiel explicatif : l’essor du féminisme. Après un bouquin de Virginie Despentes et un autre de Mona Chollet, Céline, 62 ans, a décidé de ne plus colorer ses cheveux : « Il faut s’aimer comme on est. Après tout, les hommes ne se colorent pas ».
Si la période actuelle n’est donc pas des plus faciles, aucun salon interrogé ne parle de catastrophe, et la France compte plus de 100.000 salons de coiffure, 6.000 de plus qu’en 2021 et trois fois plus qu’en Angleterre pour le même nombre d’habitants. À Nîmes, Mathieu espère en secret avoir trouvé un nouveau Ronaldo : le film Barbie, qui a dépassé le milliard de dollars au box-office. « De quoi peut-être relancer les colorations platine » et le chiffre d’affaires.