Philippe Chalmin: «La nouvelle PAC fait passer l'agriculture européenne du stable à l'instable»

INTERVIEW La France a lancé ce vendredi matin une consultation sur la réforme de la PAC. Quels sont les enjeux pour les agriculteurs et les Français? L'éclairage de Philippe Chalmin, professeur d'économie, spécialiste sur le marché des matières premières...

Propos recueillis par Céline Boff
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Un agriculteur frappé par la sécheresse en Croatie.
Un agriculteur frappé par la sécheresse en Croatie. — VLADO KOS/CROPIX/SIPA

Ce vendredi matin, Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, a lancé une consultation sur la réforme de la PAC. A votre avis, à quoi ressemblera la future PAC?

La promesse faite par l’Europe de ne pas trop écorner le budget de la PAC devrait être tenue, mais il faut accepter l’idée que la PAC du passé est morte. Pendant 30 ans, la PAC a avant tout cherché à gérer et à stabiliser la plupart des grands marchés agricoles à l’intérieur de l’espace européen. Cette PAC a été peu à peu vidée de sa substance et la nouvelle PAC va entériner la fin des politiques de stabilisation des marchés en Europe, comme le prouve la suppression définitive en 2015 des quotas laitiers.

Pourquoi la PAC prend-elle ce chemin-là?

Pour plusieurs raisons. D’abord parce qu’en son sein, le clan des libéraux l’a emporté. Ensuite parce qu’à l’intérieur de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), cette position était difficile à tenir. Enfin parce que dans les faits, cette politique était de moins en moins efficace, en tout cas sur certaines productions.

Mais n’est-ce pas inquiétant, notamment à l’heure de la flambée des prix agricoles?

C’est une révolution culturelle. La PAC avait apporté la stabilité à l’agriculture européenne et elle la plonge maintenant dans l’instabilité. Est-ce inquiétant? Cela dépend pour qui. Les céréaliers par exemple sont en ce moment très heureux de la flambée des prix des céréales. Ce qui n’est pas le cas des éleveurs, qui ont de plus en plus de mal à nourrir leur bétail…

La PAC a-t-elle encore une utilité?

La PAC va continuer à maintenir une aide à l’agriculture, en se concentrant, non pas sur les productions agricoles, mais sur les agriculteurs. Les conditions d’aides vont également être renforcées et se systématiser, selon des critères – environnement, social, bien-être des animaux, etc. – restant à définir. Autrement dit: en matière d’aides, la PAC passe d’un modèle d’irrigation à tous au système du goutte-à-goutte ciblé. Il sera sans doute plus efficace, mais plus difficile à monter. Sans compter que nous assistons à une certaine renationalisation de la PAC. Si l’Europe continuera à déterminer le cadre général, ce sont les Etats qui fixeront les conditions et les modalités précises d’attribution des aides.

Donc on tourne définitivement le dos à toute régulation?

Réguler signifie s’assurer que les marchés fonctionnent de manière juste et transparente. Ce qui est terminé, c’est la stabilisation. On peut le regretter, mais cette page est tournée. Il n’y a plus de frontières entre les prix européens et mondiaux, nous sommes désormais condamnés à l’instabilité. Mais les Etats-Unis fonctionnent ainsi depuis le début du XXe siècle et ça marche. 

Quels sont les risques pour les consommateurs?

Pour eux, ça ne change pas grand-chose, car en raison de la transformation des produits, la part agricole dans le panier de la ménagère ne cesse de baisser. Quand vous achetez une baguette de pain, le blé représente seulement 7 à 8 centimes du prix final. Autrement dit, une flambée du prix des céréales n’entraîne pas une flambée du prix de la baguette. Certes, il y aura des tensions. Reste que si le panier de la ménagère ne sera pas moins cher demain, il n’explosera pas non plus

Que devrait faire la PAC qu’elle ne fera pas?

J’ai toujours pensé qu’il fallait rémunérer l’agriculteur non pas pour ce qu’il produit, mais pour ce qu’il est. Notamment pour son action d’aménagement et d’entretien de l’espace rural. La PAC doit aller dans ce sens-là.