Suicides chez France Télécom: La société mise en examen pour «harcèlement moral»

JUSTICE Elle est aussi poursuivie pour «entrave au fonctionnement du comité d'entreprise et du comité d'hygiène et de sécurité»...

C.C. avec Reuters
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Le siège de la société France Télécom-Orange à Paris
Le siège de la société France Télécom-Orange à Paris — STEVENS FREDERIC/SIPA

La société France Télécom a été mise en examen ce vendredi pour «harcèlement moral»  dans l'enquête sur une vague de suicides de salariés en 2008 et 2009, a indiqué une source  judiciaire.

Elle est aussi poursuivie pour «entrave au fonctionnement du comité  d'entreprise et du comité d'hygiène et de sécurité». Le juge d'instruction qui a notifié ces décisions à un représentant légal de  la société a également ordonné le versement d'une caution de 150.000 euros.

«L'action de l'entreprise a pu être mal  perçue, ce qui a induit un trouble collectif»

Son représentant légal, Pierre Louette, a été entendu toute l'après-midi par  des juges d'instruction. Dans un communiqué, la société conteste «avoir mis en place une politique  délibérée visant à provoquer de la souffrance au travail pour créer des  conditions de départ». Le groupe reconnaît cependant que «l'action de l'entreprise ait pu être mal  perçue, ce qui a induit un trouble collectif».

«Il est tout à fait possible que ce trouble ait pu, sur des collaborateurs  (qui pouvaient avoir par ailleurs des fragilités ou des difficultés) contribuer  à une souffrance au travail», écrit la direction de France Télécom. Selon elle, ce problème n'est pas propre à cette entreprise en particulier  mais relève d'un «phénomène de société», qui concernerait le secteur privé comme  le public.

Quelque 35 suicides ont été enregistrés au sein du personnel de la société en  2008 et 2009. Un rapport de l'Inspection du travail versé au dossier de l'information  judiciaire en 2010 a examiné 14 cas. L'enquête pénale a élargi le champ à 80 cas de suicides, tentatives ou  dépressions graves.

Lombard, Wenes et Barberot également poursuivis

L'ancien P-DG de France Télécom Didier Lombard est déjà poursuivi, depuis  mercredi, pour les mêmes motifs, de même que l'ex-directeur exécutif  Louis-Pierre Wenes et le directeur des ressources humaines Olivier Barberot. Ils sont mis en cause pour une politique de gestion du personnel et un plan  de restructuration jugés en eux-mêmes délictuels, ce qui est une première  judiciaire. Remplacé début 2010 par Stéphane Richard, Didier Lombard avait choqué en  parlant d'une «mode des suicides». Il se défend en affirmant avoir seulement  voulu sauver sa société.

Le siège parisien de l'entreprise, ancienne administration d'Etat devenue  société anonyme en 1996 et dont l'actionnariat est majoritairement privé depuis  2004, avait été perquisitionné le 3 avril, comme le domicile de Didier Lombard. L'affaire pourrait conduire pour la première fois à un procès visant non pas  des comportements individuels mais une politique de gestion du personnel et un  plan de restructuration. 

Des procédures sans précédent

Ces procédures sont sans précédent concernant la politique d'une entreprise. Le délit de harcèlement moral est puni d'un an de prison et 15.000 euros  d'amende pour les personnes physiques. La société risque des sanctions  financières. En 2009, la Cour de cassation, plus haute juridiction française, a décidé que  ce délit ne viserait plus uniquement des comportements personnels mais pouvait  concerner des techniques de management.

Il s'agit, dans le cas de France Télécom, d'une politique qui visait à  réduire les effectifs de 22.000 personnes, provoquer un changement de métier  pour 10.000 autres employés, en recruter 6.000, augmenter la mobilité et  rajeunir la pyramide des âges, selon le rapport de l'Inspection du travail. Ont été employés pour ce faire des techniques devenues habituelles dans le  monde du privé: des objectifs de performance et des mutations forcées.

L'Inspection du travail a conclu au «caractère pathogène de la politique de  restructuration et de management», estimant que les objectifs de performance  étaient volontairement impossibles à atteindre et qu'ils poursuivaient le même  but que les mutations, forcer le personnel concerné au départ. L'Inspection a remarqué que les alertes des médecins du travail avaient été  ignorées. Tout en se déclarant satisfaits des poursuites, les syndicats, qui sont à  l'origine de la procédure judiciaire, demandent désormais la requalification des  faits en «mise en danger de la vie d'autrui».