Comment le monde tournerait avec un baril à 200 dollars

Thibaut Schepman
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Des barils de pétrole, dans un dépôt à Jakarta le 25 mai 2010.
Des barils de pétrole, dans un dépôt à Jakarta le 25 mai 2010. — Beawiharta Beawiharta / Reuters

Le pétrole n’en finit plus de flamber. Vendredi, le baril de Mer du Nord frôlait les 125 dollars. Alors que la facture énergétique des Français explose déjà, plusieurs experts évoquent aujourd’hui le scénario catastrophe d’un baril à 200, voire 300 dollars. Un choc pétrolier qui bousculerait le quotidien de chacun, puisque chaque Français consomme directement ou indirectement entre 4 et 4,5 litres de brut par jour.

7h Café noir 

C’est l’heure du petit déjeuner. Premier réflexe, le café. Sauf que ce produit est l’un des plus menacés par la hausse des prix du baril. C’est en effet le deuxième bien le plus exporté au monde… après le pétrole. En France, votre café parcourt près de 9.000 kilomètres s’il vient et du Brésil, et 5.500 depuis l’Ethiopie. Comptez plus de 2,5 litres de kérosène pour le premier, environ 1,5 pour le second. Les prix du café ont déjà atteint leur plus haut historique en avril.

8h Cher transport

Si le baril dépasse les 200 dollars, le prix de l’essence pourrait bien dépasser les deux euros le litre à la pompe. Et la note pourrait encore être plus salée si une crise porte le prix du baril à 300 dollars, ou si le dollar se renchérit par rapport à l’euro. Votre trajet jusqu’à votre lieu de travail risque de coûter plus cher.

Solution : Trois déplacements sur quatre se font en voiture en milieu rural, et un sur deux en ville. C’est beaucoup, beaucoup plus que la marche et le vélo. Pire, 58% des déplacements se font seul, contre 49 % en 1994. Le covoiturage a de beaux jours devant lui. Et si le pétrole cher menace plusieurs professions, de nouveaux postes seront aussi à pourvoir, notamment des architectes, des plombiers et des maçons pour des bâtiments performants ou encore des agriculteurs formés à l’agro-écologie…  

>> Retrouvez par ici notre série sur les Français et leurs solutions contre la hausse des prix de l’énergie. Système D, covoiturage, huile végétale dans le moteur...

12h Déjeuner local

Comme pour le café, plus les aliments seront produits loin plus ils couteront cher. Des chercheurs allemands ont ainsi montré que le transport en avion de melons venant de Guadeloupe consomme 17 fois plus d’énergie qu’une importation du Maroc ou 50 fois plus que depuis la Suisse.

Solution: Choisissez autant que possible des fruits et légumes de saison. Il faut par exemple cinq litres de pétrole pour importer des haricots du Pérou en janvier et décembre, mais presque rien quand les beaux jours sont venus, lorsqu'ils sont produits en France. Pour la suite des conseils, il vous faudra patienter jusqu’au souper ci-dessous!

18h Des derricks sur le retour du bureau

Sur la route retour, le paysage pourrait également être transformé en cas de flambée durable des prix du pétrole. Car, à 200 dollars le baril, l’extraction d’hydrocarbures «non conventionnels» devient rentable. Ce qui pourrait marquer l’arrivée de derricks forant le pétrole de schiste en Ile de France, ou le gaz de schiste dans le Sud-est et le Nord-est du pays.

Solution: Pour éviter des allers-retours dispendieux, vous risquez de travailler à la maison en télétravail, ou par semaines de quatre jours

20h Pas de viande pour le souper

Il n’y a pas que le transport de la nourriture qui est énergivore. Plus de 20% de l’énergie utilisée pour produire de la nourriture aux Etats-Unis sert à produire des produits phytosanitaires, qui sont des dérivés du pétrole. De même pour l’emballage en plastique -lui aussi dérivé du pétrole- qui pèse 7% de l’énergie consommée. Et ces proportions sont bien plus grandes encore dans les pays en développement. Conséquence: l’indice des prix alimentaires de la FAO suit  mécaniquement les mouvements des prix du pétrole. Toute la nourriture va coûter plus cher, même celle produite non loin de chez vous.  

Solution: Les aliments n'ont pas tous le même «poids en pétrole», loin de là. Il faut par exemple beaucoup plus de brut pour produire de la viande rouge que du poulet. Le triste record est détenu par le veau, avec 17 litres de pétrole par kilo, à peine moins que pour un jean. Il va falloir manger moins de viande, et surtout moins de viande rouge pour faire le plein de protéines.

Encadré:

Le budget des pays non producteurs prendrait lui aussi un gros coup. Un pétrole à 300 dollars gonflerait la facture énergétique annuelle française à 250 milliards de dollars, selon l’ingénieur Jean-Marc Jancovici. Soit 20% du PIB français. Ce qui veut dire que 20% du temps de travail serait consacré à payer l’énergie, détaille l’ingénieur. Le Wall Street Journal estimait lundi qu’au-dessus de 120 dollars une récession est inévitable.  Pire, l’ingénieur Jean-Marc Jancovici montre que toute augmentation du prix du pétrole est suivie trois ans plus tard d’une hausse du chômage, qui aggrave la crise. Celui-ci milite donc que les solutions soient mises en place au plus vite, pour anticiper la transition et éviter un choc brutal. Il propose par exemple une taxe sur l'énergie, qui inciterait à limiter la consommation et serait redistribuée de manière équitable en soutenant la transition énergétique.

A lire:

- Le blog de Matthieu Auzanneau, consacré au pic pétrolier : Oil Man

- Le plein s’il vous plaît, Jean-Marc Jancovici, 18 euros aux éditions du Seuil , 2006.