Spéculation alimentaire: L'épi de blé ou la graine de colza, des produits financiers comme les autres

FINANCE De plus en plus d'investisseurs placent leurs fonds dans des matières premières agricoles...

Thibaut Schepman
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Un champs de blé au sud de Moscou, en Russie, en août 2010.
Un champs de blé au sud de Moscou, en Russie, en août 2010. — Ivan Sekretarev/AP/SIPA

A chaque fois que les prix alimentaires grimpent, «les spéculateurs» sont montrés du doigt. Alors que les habitants des pays les plus pauvres peinent à se nourrir, certains investisseurs s’enrichissent grâce aux matières premières agricoles. Mais comment fonctionne la spéculation alimentaire? Les explications de 20minutes.fr.

Comment fonctionne cette spéculation?

Les marchés agricoles se prêtent particulièrement bien à la spéculation. En effet, la majeure partie des transactions se font par des «contrats à terme». Plusieurs mois avant la récolte, le producteur signe avec un investisseur un contrat à terme, qui fixe à l’avance le prix et le volume de blé qui sera échangé après la récolte. Cela permet au producteur de connaître à l’avance ses revenus, et de ne pas être victime de baisses soudaines des prix. Les entreprises agroalimentaires peuvent elles mieux maîtriser leurs stocks.

Sauf qu’un troisième type d’acteur peut être intéressé par ces transactions: les spéculateurs. En effet, nul besoin de disposer de blé pour jouer ce marché. Petit exemple. Imaginons qu’aujourd’hui, le boisseau de blé coûte 100 dollars. Vous pariez que ce prix va augmenter avant la récolte, et atteindre au moins 150 dollars en avril. Passez donc un «contrat à terme» à cette date, au prix de 100 dollars, et attendez que les tarifs s’élèvent. Si le boisseau s’échange bien à 150 dollars, vous pourrez alors revendre ce contrat avant son terme, avec une plus-value de 50 dollars par boisseau et sans jamais avoir touché un épi. Le système fonctionne également en pariant à la baisse. Si l’on ne gagne pas à tous les coups, c’est en tout cas devenu un nouveau secteur d’investissement.

Le phénomène a-t-il augmenté?

«La financiarisation a beaucoup augmenté ces dernières années», témoigne Johanne Buba, économiste au CAS (Centre d’analyse stratégique) et co-auteur d’un rapport sur le sujet. En effet, la valeur de ces échanges financiers serait passée de 5.850 milliards de dollars en juin 2006 à 12.390 milliards en juin 2008, notent les auteurs de ce rapport. A tel point que, sur les marchés agricoles, moins de 1% du volume des transactions se conclut par une livraison. On s’échange beaucoup plus de contrats que d’épis de blé.

«Comme la Bourse se porte mal et les taux intérêts sont très bas, les investisseurs préfèrent miser sur les matières agricoles», détaille ainsi Philippe Crevel, conseiller économiste pour Generali, interrogé par 20minutes.fr.

>> Pourquoi les prix alimentaires vont augmenter, à lire sur 20minutes.fr...

La spéculation fait-elle augmenter les prix réels?

C’est la question qui divise les économistes. «Ce phénomène est très récent, et on a si peu d’informations sur les contrats à terme réalisés qu’il est très difficile de connaître leur influence réelle sur les prix», estime Maxime Liegey, co-auteur du rapport.

Philippe Chalmin, économiste spécialiste des matières premières agricoles, se veut lui aussi prudent. «Il est certain que ces transactions ont un effet sur les prix. Mais, contrairement à ce que certains prétendent, elles ne sont pas la cause déterminante de leur augmentation», rappelle-t-il. Il insiste ainsi sur les aléas climatiques, qui ont lourdement perturbé les récoltes, et sur la demande en hausse venue des pays émergents pour expliquer les hausses. Le «déséquilibre entre l’offre et la demande, notamment dans les pays émergent» lui fait ainsi craindre «de très gros problèmes dans les mois qui viennent».