« Une certaine idée de l’enfer »… Dans l’angoisse de l’organisation des pots de départ
votre vie votre avis Le pot de départ d’un ou une collègue est un moment festif, qui devient quand même fatigant quand on l’organise
- Les pots de départ en entreprise, c’est comme les enterrements de vie de garçon. C’est chouette d’y participer, moins fun de l’organiser.
- Entre une liste interminable de choses à planifier, la difficulté de trouver un consensus sur les cadeaux – ou des sous pour la cagnotte - avec les collègues et la pression inhérente à tout évènement organisé pour autrui, cette tâche sympathique peut vite se transformer en parcours du combattant.
- On a demandé aux lecteurs de « 20 Minutes » de raconter leurs propres galères en la matière.
- Et les fleurs ? Tu as pensé à lui acheter des fleurs ? »
Quand notre collègue et « queen » Manon nous a annoncé qu’elle quittait l’entreprise vers d’autres cieux, on ne pensait qu’à la tristesse de perdre ce petit bout de soleil dans notre open space. C’était avant que, dans un ultime geste d’affection d’une amitié vieille de cinq ans, elle nous refile la patate chaude : l’organisation de son pot de départ.
C’est parti pour lancer la cagnotte sur Le Pot Commun. Et réaliser les 15.000 relances de mails afin que tout le monde participe - façon bénévole reloue vous interpellant dans la rue pour sauver les pandas roux tibétains. Et le cahier à faire tourner que chacun y aille de son mot larmoyant. Et le choix des cadeaux. Et, vous l’aurez compris, ces fameuses fleurs. Et encore, la belle nous a fait grâce de trouver son bar elle-même comme une grande.
« Une concurrence malsaine » du meilleur pot
Nous ne sommes pas les seuls à avoir eu pareille tâche tomber sur nos frêles épaules, en raison d’un mercato d’employés particulièrement bouillant en ce moment. Comptez 500.000 démissions par trimestre en moyenne, et cinq millions d’embauches en CDI sur l’année écoulée, selon l’Insee. Bref, beaucoup de départs, et donc de pots pour dire un dernier au revoir alcoolisé à l’ancienne vie.
Jusqu’à l’indigestion pour Marie, 33 ans, qui a répondu à notre appel à témoignages. « C’est la bérézina, tout le monde s’en va » de son entreprise spécialisée dans le numérique. Pas un mois sans que quelqu’un ne quitte le navire. Une brochette de pots de départ qui, à force, « crée une concurrence malsaine. On compare les soirées, les cagnottes, le nombre d’invités » … Et fatalement, personne ne veut être celle ou celui qui a organisé le pot nul ». Mais plus le temps passe, plus le risque d’un pot moins bien que les autres augmente : « Les gens ne vont pas lâcher 30 balles chaque mois dans les cagnottes. A force, faut vraiment leur tirer les vers du nez. Idem pour qu’ils viennent. La lassitude s’installe, et ça demande encore plus d’énergie pour motiver les gens. »
« Sa cagnotte n’était que de 40 euros »
Le pot pourri dont l’organisation vous tombe dessus, Ivan connaît. Une collègue « peu appréciée et très introvertie, qui ne parlait jamais aux autres », et qui lui donne la lourde charge de l’aider à partir. « Sa cagnotte n’était que de 40 euros, contre 500 environ pour les autres. J’avais tellement honte du peu de cadeaux que je pouvais acheter que j’ai donné 70 euros de ma poche, histoire de prendre un truc à peu près bien. A sa soirée, personne ne lui parlait, c’était l’angoisse », témoigne le vendeur trentenaire.
Leslie, 33 ans et directrice de crèche, n’est pas plus convaincue : « Mais quelle merde à organiser ! Entre le livret souvenirs pour lequel personne ne trouve l’inspiration des mots, les collègues qui désertent lorsqu’il s’agit de mettre la main à la poche et les malaises pendant le discours ému du lâcheur, on est à peu près sûr de ne plus jamais poser le pied dans l’engrenage. »
« L’impression de forcer la main et de mendier »
S’il y a bien un supplice qui revient systématiquement, c’est cette fameuse cagnotte, source de tous les maux de tête, témoigne Ryo, 42 ans : « Près de la moitié des collègues faisaient mine d’avoir loupé mes relances par mail. Une "astuce" qu’on m’a donnée était d’aller faire les relances en physique, mais j’aurais l’impression de forcer la main et de mendier ». A charge de revanche pour Ryo : « J’ai noté les noms de celles et ceux qui ne participaient pas, afin de "donner le change" au moment de leur propre départ ».
Tout le monde n’a pas la mansuétude de trouver soi-même un bar et de dresser la liste des invités comme notre Manon nationale. Là encore, bonjour l’angoisse. « Entre les gens qui trouvent le bar trop loin, trop excentré, trop cher, trop bruyant, c’est difficile de faire consensus », estime Lucie, 38 ans qui travaille dans la vente. Une pression encore pire pour les invités. C’est que la vie d’entreprise, c’est long et intense, et que les relations salariales ne sont pas exemptées de dramas. « Je devais organiser le pot d’un collègue qui s’était brouillé avec son meilleur ami du boulot pendant des années, reprend Lucie. J’ai longtemps hésité à l’inviter. Finalement, je l’ai fait, pensant que ce serait dommage qu’il ne vienne pas. Ils se sont frités durant le pot, et le partant m’a reproché de l’avoir invité. »
A l’arrivée, beaucoup d’efforts « qui incombent surtout aux femmes », et un événement festif qui devient plus relou qu’autre chose, juge Marie. Pour Lucie, « il y a toujours eu le sentiment désagréable que la personne qui partait en aurait fait moins pour moi. » Reste la satisfaction du travail bien fait pour David : « Ça reste un moment que j’ai beaucoup apprécié, même si ça demande pas mal d’organisation et que ça représente un travail supplémentaire ». C’était la même pour Manon. Mais cela valait largement le coup : elle a adoré les fleurs.