Grève du 7 mars : Date, opinion favorable, réforme épicée… La recette parfaite pour une contestation qui dure ?
réforme des retraites Ce mardi, la mobilisation contre la réforme des retraites recommence et tend vers une grève reconductible. Ca tombe bien, la journée applique la bonne recette pour un mouvement qui dure
- Une très forte mobilisation est prévue mardi contre le projet de réforme des retraites, et elle en appelle d’autres. Plusieurs syndicats ont notamment invité à une grève « reconductible ».
- L’exercice reste ambitieux, voire périlleux. Voilà plusieurs années que les grèves générales - reconductibles ou non - n’ont pas abouti en France.
- Mais ce mouvement du 7 mars semble cocher pas mal de bons ingrédients pour que la recette ne retombe pas comme un soufflé.
Les syndicats de la SNCF, de la RATP, de l'aérien, des raffineries ou encore des éboueurs ont appelé à une grève reconductible à compter du 7 mars, afin de durcir le mouvement contre la réforme des retraites. Mais cette grève reconductible reste un plat ambitieux, sur lequel beaucoup de grands chefs étoilés se sont cassé les dents.
Qu’on rassure Philippe « Etchebest » Martinez et Laurent « Mariotte » Berger, le 7 mars semble cocher tous les bons ingrédients pour que la mayonnaise prenne et que la recette fasse effet. 20 Minutes a joué les experts de la cuisine syndicale pour en juger.
Une base de qualité
Un bon plat, ça passe avant tout par des ingrédients de qualité et qu’on ne trouve pas sur n’importe quel étal. On galérera moins à ravir nos convives avec de la truffe et du foie gras qu’avec des endives. Cette journée du 7 mars coche déjà une première case, avec un ingrédient de base très solide : une réforme extrêmement impopulaire. 71 % des Français sont opposés à la réforme, selon un sondage YouGov pour le HuffPost daté du 2 mars, et même 73 % pour le seul passage de l’âge de départ à 64 ans. Une véritable force. « Par principe de vase communicant, plus une réforme est impopulaire, plus la contestation syndicale est populaire. C’est une réforme objectivement très dure, qui renvoie dans l’imaginaire collectif 40 ans en arrière, et qui lie donc la population contre elle », confirme Stéphane Sirot, historien et sociologue des grèves et du syndicalisme. Il le rappelle : « L’opinion publique est un véritable plus pour une grève, et a fortiori pour une grève de longue durée. »
La lancer à la bonne période de l’année
Eh oui, tout comme on ne fait pas une raclette en juillet ou une salade grecque à Noël, le timing est important pour une contestation sociale réussie. Pour satisfaire vos invités, il ne faut pas choisir n’importe quelle date. Et le 7 mars a une bonne allure de calendrier parfait aux yeux de la population, soutient Stéphane Sirot. Plus aucune zone française n'est en vacances d’hiver, les prochaines vacances scolaires ne sont qu’en avril, et mars reste un mois peu propice aux congés - il pleut souvent et le soleil se couche avant 20 heures. « C’est une période qui ne dérange pas les Français, ce qui permet de garder l’opinion favorable avec les grévistes », estime l’historien.
Un bouillon cuit à feu doux
On calme les excités des feus vifs qui veulent cuire leur plat en une minute montre en main. Tout comme on laisse d’abord revenir pendant des heures le bouillon de légumes ou de poulet, une grève massive reconductible demande en première partie un terrain plus calme. Et c’est exactement ce qu’ont fait les syndicats. « La contestation contre la réforme des retraites a commencé par des manifestations douces et sans trop d’encombre. De cette manière, les syndicats ont montré leur bonne foi et présenté patte blanche », estime Vincent Tiberj, sociologue politique. « Le gouvernement ne peut pas dire que les forces syndicales ont tout de suite voulu bloquer le pays, elles ont longuement attendu. »
Cette patience permet de justifier une action plus forte par la suite, comme ce qui est prévu ce 7 mars, avec la volonté « de bloquer le pays », selon les mots de l’intersyndicale.
Faire bien mijoter
Un gros plat, ça se prépare et ça prend du temps : on ne fait pas un bœuf au bourguignon au micro-ondes. C’est là aussi la force de cette grève du 7 mars. Trois semaines ont passé entre la dernière grande journée de mobilisation, le 16 février, et ce mardi. Un temps qui offre plusieurs avantages pour une grève reconductible réussie.
Premièrement, selon Stéphane Sirot, « il permet aux syndicats de faire un travail de terrain pendant un mois, de motiver les troupes, d’aller au contact des salariés et de préparer les actions. Si les syndicats ne contrôlent jamais la détermination finale sur le terrain, ils peuvent au moins l’inciter et tenter de la générer ». Vincent Tiberj note de manière plus pragmatique qu’avoir temporisé pendant trois semaines « a permis aux salariés de renflouer les caisses et d’économiser du salaire. Une journée de grève coûte cher, une grève reconductible encore plus ».
Des épices, beaucoup d’épices
Cumin, curry, herbe de Provence, ail, oignon… Ne soyez pas radins au moment de mettre du goût. Mieux vaut un plat trop relevé que trop fade en bouche. Et ça, c’est aussi le secret pour une bonne grève reconductible : avoir de l’impact. « Les mobilisations passées contre la réforme des retraites ont montré que le nombre de personnes dans la rue n’avait aucune conséquence sur la résolution du gouvernement », note Stéphane Sirot.
Les syndicats vont donc sûrement passer à la vitesse supérieure : « A un moment, les syndicats vont devoir utiliser le rapport de force pour espérer faire bouger le gouvernement, et donc réfléchir à bloquer des sites importants, quitte à se fâcher avec l’opinion. Une grève doit souvent être suivie d’impact et d’effet pour fonctionner », indique l’historien. La récente grève dans les raffineries, de septembre à novembre, contraignante pour de nombreux Français, a ainsi abouti à des hausses de salaires dans le secteur. En cuisine ou en contestation, on ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs.
400 grammes de beurre
Pour compenser cette sauce épicée et l’assaisonnement plutôt énervé en curry, on ne lésinera pas non plus sur le beurre pour attendrir le plat et faire passer la pilule. Ce beurre doux (retenez votre souffle, les Bretons), c’est l’opinion publique, qui est favorable à un blocage du pays. Deux tiers (67 %) des Français estiment le blocage de l’économie justifié, selon un sondage Ifop pour le JDD datant du 22 février. « Les syndicats ont d’autant plus la voie libre pour une grève reconductible que la population semble approuver et même attendre des actions fortes », poursuit Stéphane Sirot.
Espérer de la bonne volonté de la part de votre patron
Vous pouvez proposer le meilleur plat du monde, si le dirigeant de votre restaurant ne veut rien entendre, ne pas goûter à votre recette et insiste pour passer en force son steak-frites, on est dans l'impasse. Ce patron têtu, c’est l’exécutif. « On est sur un gouvernement qui ne veut rien lâcher, et qui est allé déjà trop loin dans sa volonté de ne pas bouger pour se risquer à revenir en arrière. Je ne sais pas comment tout cela pourrait finir », prévient Vincent Tiberj. Gare donc à ne pas passer de « Top Chef » à « Cauchemar en cuisine ».