Crise énergétique : Sortir du marché européen de l’énergie ne serait pas la solution selon des spécialistes

FAKE OFF L’opposition appelle à sortir de ce mécanisme qui aligne les prix de l’électricité sur les prix du gaz dans certaines circonstances

Mathilde Cousin
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L'opposition et même Bruno Le Maire pointent du doigt un mécanisme du marché européen de l'électricité, qui aligne le prix de production de l'électricité sur le coût de la dernière centrale, c'est-à-dire les centrales à gaz.
L'opposition et même Bruno Le Maire pointent du doigt un mécanisme du marché européen de l'électricité, qui aligne le prix de production de l'électricité sur le coût de la dernière centrale, c'est-à-dire les centrales à gaz. — Sebastien SALOM-GOMIS/SIPA
  • De LFI au RN en passant par Les Républicains, l’opposition est unanime pour dénoncer le marché européen de l’énergie, l’accusant d’être responsable de l’augmentation des factures d’électricité.
  • Ils demandent que la France en sorte, en emboîtant le pas à l’Espagne et au Portugal.
  • Sortir de ce mécanisme ne serait pas la solution pour faire baisser durablement les prix de l’électricité, expliquent des spécialistes à 20 Minutes.

Des factures astronomiques et un coupable désigné. Des Républicains au Rassemblement national, en passant par La France insoumise, tous pointent du doigt le marché européen de l’énergie, l’accusant d’être responsable de l’augmentation des factures d’électricité. Lundi, c’était Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, qui le qualifiait de « folie qui aligne le prix de l’électricité sur celui du gaz » et demandait la sortie de la France de ce dispositif. C’est également ce qu’a avancé Manuel Bompard, député LFI, lundi au micro de BFMTV. Jordan Bardella a lui fustigé un « mécanisme absurde », dans un texte publié lundi, et a appelé à imiter l’Espagne et le Portugal, qui en seraient sortis. Même Bruno Le Maire s’est montré circonspect, appelant à un découplage entre les prix du gaz et de l’électricité. Le ministre de l’Economie a toutefois écarté toute sortie de ce marché.

FAKE OFF

Ce que pointent du doigt ces personnalités politiques, c’est une partie du marché européen. Depuis 1996, celui-ci prévoit plusieurs mesures, comme la fin des monopoles, ou bien que le coût du prix de l’électricité soit aligné sur le coût de la dernière centrale. C’est ce dernier mécanisme que dénoncent ces élus.

La dernière centrale désigne la centrale de gaz, qui est appelée en dernier sur le marché de gros, après les énergies renouvelables et le nucléaire. Sur ce marché de gros, les producteurs revendent à des fournisseurs et des gros consommateurs. Les centrales à gaz sont appelées si l’offre en renouvelable ou en nucléaire n’est pas suffisante. « Le gros avantage du marché, c’est qu’à chaque instant il va sélectionner la centrale la moins chère pour satisfaire un niveau de demande donné », résume auprès de 20 Minutes Boris Solier, responsable du master Economie de l’énergie à l’université de Montpellier.

Un système « assez logique »

« On va appeler les centrales par ordre de coût marginal croissant, détaille le chercheur. Le coût marginal c’est le coût variable de production, c’est-à-dire le coût au combustible. Pour une centrale à gaz, c’est combien j’ai besoin de gaz pour produire de l’électricité et à quel prix j’achète ce gaz. »

Cette dernière centrale permet d’équilibrer l’offre et la demande. « Ce système est assez logique. Il envoie une incitation aux producteurs, ajoute le maître de conférences. Dès qu’il y a un producteur qui peut effectivement couvrir ses coûts variables quand le prix de l’électricité est assez élevé [en raison de la demande], il produit. Si le prix de l’électricité est à 50 euros et que le coût de production d’une centrale nucléaire est à 30, la centrale va produire. Si le prix tombe à 10, elle ne produira pas, parce que la demande est trop faible. C’est un système qui est assez vertueux, parce qu’il incite les producteurs à offrir un prix sur le marché qui est proche de leurs coûts de production. »

L’Espagne et le Portugal ont obtenu une dérogation pour aménager le marché européen

L’Espagne et le Portugal ne sont pas sortis de ce marché, mais ont obtenu une dérogation temporaire, rappellent à 20 Minutes Anna Creti, professeure d’économie à l’université Paris Dauphine-PSL et membre d’un groupe de réflexion pour réformer le marché européen de l’énergie. L’Espagne a ainsi mis en place un plafond sur le prix du gaz utilisé pour la production d’électricité. « Ils ont un prix national qui est un peu déconnecté du prix européen dans la mesure où ils subventionnent leurs producteurs d’électricité, rappelle Boris Solier. Ces producteurs achètent- leur gaz sur le marché européen. Quand ils passent leur ordre sur le marché d’électricité, ils tiennent compte d’un prix du gaz à 40 euros au lieu de tenir compte d’un prix à 170 ou 200 euros, ce qui fait évidemment baisser le coût de production de l’électricité en Espagne. »

Si les ménages ont vu leur facture baisser, l’effet n’est pas si important qu’attendu, rappellent les chercheurs. « Cette mesure n’est pas neutre pour le consommateur, elle doit être financée si on veut du gaz à un prix inférieur à celui du marché, souligne Anna Creti. Il y a une taxe entre un et sept euros par mois sur la facture d’électricité. » De plus, « beaucoup plus de ménages espagnols sont à un tarif qui est proche du marché de gros par rapport à la France », ajoute Boris Solier.

La situation de la France est différente de celle de l’Espagne et du Portugal

La situation de l’Espagne et du Portugal est bien différente de celle de la France, rappellent ces spécialistes : du fait de la situation géographique de ces deux pays, leurs réseaux électriques sont moins interconnectés avec le reste de l’Europe. Ces pays reçoivent du gaz liquéfié, ils sont donc moins dépendants du gaz russe acheminé par pipeline.

La France pourrait-elle quitter, au moins partiellement, ce marché européen ? Les spécialistes interrogés par 20 Minutes l’envisagent difficilement. La France est le pays le plus interconnecté d’Europe, ce qui lui permet d’importer de l’énergie de ses voisins quand elle en a besoin et d’en exporter quand la production est supérieure à la demande. Historiquement, la France est plutôt exportatrice d’électricité en raison de son parc nucléaire, remarque Anna Creti. Une sortie de ce marché « risque de l’exposer encore plus aux aléas », résume Stefan Aykut, professeur de sociologie à l’université de Hambourg et chercheur associé à l’université Paris-Est, alors que les réacteurs des centrales nucléaires ne sont pas revenus à leur pleine capacité et que la France a pris du retard dans le développement des énergies renouvelables.

« Il faut le plus possible de sources d’énergie différentes »

« Dans la situation actuelle de crise, ce qui est la clé, c’est la diversification, lance le spécialiste. Il faut le plus possible de sources d’énergie différentes. Ce que permettent le marché européen et les interconnexions, c’est plutôt d’amortir les chocs. »

Ceux-ci permettent aussi d’orienter les prix à la baisse ou au moins de limiter les hausses, argumente le chercheur : « Quand on regarde en détail ce qui empêche les prix de flamber encore plus, c’est parce qu’il y a un certain nombre de risques qui se contrebalancent. Par exemple, on a sur ce marché européen des capacités de renouvelable en éolien. Aujourd’hui [mercredi 4 janvier], l’éolien marche à plein en Allemagne, ce qui veut dire qu’une partie du manque de production en ce moment en France peut être compensée par ce renouvelable. Quand vous injectez du renouvelable, cela fait baisser les prix, parce qu’ils produisent à des prix très bas. »



La Commission européenne a enclenché des réflexions pour sortir des mesures d’urgence et aménager ce marché européen. Le 19 décembre, les ministres de l’Energie des 27 Etats membres se sont mis d’accord pour plafonner les prix du gaz. Toutefois, le niveau de ce plafonnement est bien supérieur aux prix actuels du marché, qui sont actuellement en baisse.

Même si la Grèce a déposé une proposition pour découpler les prix de l’électricité du prix du gaz, « pour l’instant on a du mal à envisager quels types de réformes peuvent être mis en place, résume Boris Solier. Le prix sur ce marché, c’est pour l’instant surtout un thermomètre : cela montre que l’on a un déficit d’électricité et que les coûts de production ont flambé. » Rien n’a pour l’instant été tranché à Bruxelles.