Guerre en Ukraine : Cet hiver doux sauve-t-il l’Europe d’une crise énergétique majeure ?

gaz L’Europe connaît un automne et un hiver particulièrement doux pour le moment. Une potentielle aubaine en plein bras de fer énergétique avec la Russie

Jean-Loup Delmas
Photo illustration de la température en cette periode de chaleur//ALLILIMOURAD_1442012/2208071449/Credit:Mourad ALLILI/SIPA/2208071459
Photo illustration de la température en cette periode de chaleur//ALLILIMOURAD_1442012/2208071449/Credit:Mourad ALLILI/SIPA/2208071459 — Mourad ALLILI/SIPA
  • Cet hiver cru 2022-2023 se montre pour le moment particulièrement doux et exceptionnellement chaud en Europe.
  • Presque une chance alors que le conflit énergétique avec la Russie faisait craindre il y a encore quelques semaines des pénuries d’énergie et des coupures d’électricité.
  • Méfiance néanmoins, l’Europe n’est pas tiré d’affaires pour autant.

Fin mars 2022. L’Union européenne pousse un premier souffle de soulagement après un mois particulièrement doux et sec. Comptez 26 journées sur 31 au-dessus des moyennes de saison. Conséquence : aucune coupure d’électricité n’est à déplorer sur le Vieux Continent. Si la hausse des prix de l’énergie a commencé dès la seconde moitié de l’année 2021, la guerre entre la Russie et l’Ukraine a accentué la crise énergétique au sein des Vingt-sept, dont la plupart des pays sont dépendant au gaz russe.

Près d’un an plus tard, le scénario semble se répéter alors que le conflit s’enlise : la fin d’année a été marquée par le deuxième Noël le plus chaud jamais enregistré en France, et le record absolu pour le Nouvel An. Et le mois de janvier semble prendre le même chemin : l’indicateur thermique national s’établit à 7,6 degrés au dessus des normales de saison.

Le pire derrière nous ?

Bien sûr, il ne s’agit pas de célébrer le réchauffement climatique. Mais il faut l’admettre, conjoncturellement, cette météo en surchauffe ressemble à une bonne nouvelle pour l’UE. « La grande crainte était d’avoir un hiver froid. Pour le moment, cela se passe plutôt bien et les réserves européennes de gaz sont encore pleines à 84 %, ce qui est normalement le taux de remplissage à l’entrée de l’hiver », indique Nicolas Goldberg, Senior Manager Energie chez Colombus Consulting. A titre de comparaison, en janvier 2022, juste avant le début du conflit, les réserves de gaz affichaient 54 %. Le spécialiste précise : « La consommation de gaz est très thermosensible car ce dernier sert principalement à créer de la chaleur. » Ainsi, plus les températures sont douces, plus la consommation de gaz chute drastiquement.



L’Europe dispose de réserves bien garnies, se chauffe moins en ce moment et sa consommation industrielle a diminué car de nombreuses usines ont dû temporairement fermer à cause des tarifs énergétiques. En conséquence, les prix dégringolent. Ce lundi, le prix de référence du gaz naturel en Europe oscillait autour de 73 euros pour un mégawattheure (MWh), au plus bas depuis le 21 février 2022 et le début de la guerre. En août, le MWh avait culminé à 342 euros. En France, le prix de gros de l’électricité – corrélé à celui du gaz –, est tombé à 240 euros fin décembre, soit son niveau le plus bas depuis avril. Il était quatre fois plus cher fin août.

Pas d’impact pour le consommateur

« La rareté du gaz avait été surestimée, les prix étaient donc plus élevés qu’ils auraient dû l’être. Bien sûr, sans cet hiver particulièrement chaud, ils n’auraient pas chuté autant », estime Lamis Aljounaidi, économiste de l’énergie et dirigeante de la société de conseil Paris Infrastructure Advisory. Cet été indien qui fait plus que jouer les prolongations pourrait presque reléguer le risque de pénurie d’énergie ou de coupure d’électricité pendant un temps : « Les centrales nucléaires arrêtées se remettent progressivement en marche et la France devrait vite retrouver l’ensemble de sa capacité d’approvisionnement  », poursuit la spécialiste.

Pas de quoi sauter au plafond pour autant, avertit Patrice Geoffron, professeur d’économie et directeur du Centre de Géopolitique de l’Energie et des Matières Premières (CGEMP) : les bienfaits pour le portefeuille des ménages resteront relativement limité. « Les ménages ont bénéficié de prix gelés entre l’automne 2021 et la fin 2022. Les tarifs du gaz n’ont augmenté que de 15 % au 1er janvier 2023 et ceux de l’électricité connaîtront la même hausse en février. Ils auraient dû croître de plus de 100 % sans ces boucliers tarifaires, renseigne l’expert. Même avec des prix de gros en forte baisse, le tarif payé reste donc nettement en dessous de ce qu’il devrait être sans la protection de l’Etat ». La donne est légèrement différence pour les entreprises, bien moins protégées par les aides publiques. « Les prix de l’énergie restent à des niveaux trois fois plus élevés que ceux de la fin 2019, avant le début de la crise sanitaire », conclut le professeur d’économie.

D’autres hivers à tenir

Surtout, attention à ne pas crier victoire trop vite : non seulement l’hiver n’est pas terminé mais le conflit semble parti pour durer encore quelques années. « Il faudra beaucoup de temps pour se passer complètement du gaz russe et être à l’abri énergétiquement parlant d’une coupure de Moscou. La Russie représente encore la principale source européenne de gaz », poursuit Lamis Aljounaidi. Gazprom a livré 62 milliards de mètres cubes à l’Europe en 2022 contre 138 milliards en 2021, selon une estimation de Thierry Bros, analyste du marché de l’énergie et enseignant à Sciences Po.

« Nous allons devoir affronter deux ou trois hivers tendus, peut-être sans gaz russe du tout, avertit Patrice Geoffron. Par ailleurs, même si nous parvenons à nous approvisionner ailleurs en gaz, et si la menace de pénurie est moins vive, le coût de ces approvisionnements sera bien plus élevé que celui venant de Russie ». En clair : si cet hiver doux semble avoir donné l’avantage à l’Europe, rien n’est encore figé.