Epiphanie : Mais pourquoi ne mange-t-on des galettes de rois que pendant le mois de janvier ?
Pâtisserie En janvier, comme chaque année, vous allez vous régaler de galettes, avant de les voir disparaître pendant 11 mois. Comment expliquer une telle absence malgré le succès de ce dessert ?
- Ce vendredi, c’est l’Epiphanie, l’occasion de manger une première galette des rois, et certainement pas la dernière de janvier.
- Après vous être régalé tout le mois de ce dessert traditionnel, les galettes de rois vont subitement disparaître des tables pendant tout le reste de l’année, ne revenant qu’en janvier 2024.
- Pourtant, pendant 30 jours, la galette cartonne, alors pourquoi ne pas étendre son succès aux autres mois ?
3, 2, 1… C’est parti pour l’Epiphanie. Pendant tout ce mois de janvier, vous allez pouvoir vous régaler de délicieuses galettes de rois, débattre sur le fait de savoir ce dessert doit être exclusivement à la frangipane et tenter de décrocher un maximum de fèves. Selon Dominique Anract, président de la Confédération Nationale de la Boulangerie-Pâtisserie Française (CCNBPF), les Français engloutiraient chaque année, au mois de janvier, 30 millions de galettes, ce qui représenterait 5 % du chiffre d’affaires de l’année pour le secteur. Un sondage réalisé par la place de marché Epicery* affirme, quant à lui, que 96 % des Français ont bien l’intention d’en déguster au moins une.
Dépêchez-vous néanmoins, car à partir de février, les galettes disparaissent subitement des boulangeries et des supermarchés. Pourquoi une telle absence de 11 mois, malgré ce succès colossal ? Après tout, on ne mange pas des crêpes qu’à la Chandeleur. Quelle idée alors de réserver la bûche en dessert pour décembre, garder la galette en janvier ou manger des œufs en chocolat seulement à Pâques ?
Un produit trop onéreux pour toute l’année
Le premier facteur tient d’abord du budget et de la complexité de ces plats. De la farine, du lait, des œufs suffisent à faire vos crêpes alors que la galette nécessite de la poudre d’amande ou de la frangipane, « des produits bien plus onéreux. Il en va de même par exemple pour la bûche de Noël », différencie d’emblée Clémentine Hugol-Gential, professeure à l’université de Bourgogne et spécialiste des questions de médiation et de médiatisation alimentaire.
D’autant qu’en rendant la galette aussi rare, on peut y mettre le prix. « Les boulangers et les pâtissiers se sont emparés de ce dessert pour en faire un produit encore plus exceptionnel et luxueux. C’est donc un plaisir que l’on se permet dans un seul moment de l’année, on peut donc plus faire des folies », poursuit la spécialiste. Cela vaut pour le nombre de galettes dévorées comme pour le prix de chacune d’entre elles.
« Il est très probable qu’on vendrait moins de galettes si on les écoulait tout au long de l’année, sans cet aspect ''c’est le moment ou jamais'' », reconnaît Dominique Anract. Il prend pour preuve l’existence d’autres pâtisseries à base de pâtes feuilletée ou de farine d’amande comme le pithiviers ou le dartois, pouvant se vendre tout au long de l’année, et n’ayant pas du tout le succès de la royale galette. Peut-être même ignoriez-vous leur existence.
L’importance du rituel et de la tradition
Galette des rois, bûche de Noël et œufs de pâques reposent aussi sur des fêtes d’origine païennes puis catholiques très ancrées dans la culture populaire. « On connaît bien plus l’origine et la raison de ces traditions que la Chandeleur par exemple », appuie Marie-Eve Laporte, enseignante-chercheuse à l’IAE Paris-Sorbonne et spécialiste de l’évolution du comportement alimentaire. Sachez donc qu’au moment de manger des crêpes le 2 février 2023, les catholiques célébreront la présentation de Jésus au Temple, alors que vous êtes sûrement un peu plus au courant de la visite des rois mages pour l’Epiphanie, le nom du dessert étant d’ailleurs un sacré indice.
« Cette tradition de la galette des rois reste plus sacralisée et respectée. Bien sûr qu’on pourrait manger une galette en dehors de janvier, mais il y aurait une perte de sens et de magie. C’est tellement ritualisé que ce serait presque un blasphème, même si on n’est pas croyant », poursuit-elle. Clémentine Hugol-Gential abonde : « Religieuse ou non, une société a besoin de rites, de fêtes fortes et de respect des traditions et de partage ».
L’occasion d’un bon moment
Et justement, la galette, c’est avant tout ça : un moment de partage - on se dégomme rarement ce dessert seul - avec des proches, situé stratégiquement juste en début d’année. « C’est ce qui explique son succès et pourquoi cela marche autant au mois de janvier, estime Dominique Anract. On se réunit pour la première fois de l’année, que ce soit avec la famille, les proches, l’entreprise, et on s’offre un moment convivial qui lance la nouvelle année. » Sans tout ce contexte, « la galette perd de son sens, développe le président de la CCNBPF. C’est comme le rhum de Guadeloupe, il ne semble jamais aussi bon que là-bas. »
Ce partage explique l’importance, mais aussi la rareté de ce genre de dessert : « Tout comme pour la bûche, il est parfois difficile et fastidieux de faire de grands rassemblements autour d’un repas. On ne réunit souvent la famille entière que pour Noël, d’où l’utilité et le succès d’un dessert précis et typique à partager, conclut Marie-Eve Laporte. Il en est de même pour la galette ou pour les œufs de Pâques, pensés comme des moments de partages précieux. » Allez, tirez bien les rois et profitez-en, février arrive déjà dans 25 petits jours.
*Enquête réalisée entre le 14 et 24 décembre 2020 auprès de 11.316 personnes représentatives de la population nationale française selon la méthode des quotas