Emploi : La réforme de l’assurance chômage sera-t-elle l’étincelle de la rentrée sociale ?

SYNDICATS Budget, pouvoir d’achat, inflation, réforme des retraites et réforme de l’assurance chômage… Tout est réuni pour une rentrée sociale musclée

Jean-Loup Delmas
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La rentrée sociale sera-t-elle lancée avec la réforme de l'assurance chômage ?
La rentrée sociale sera-t-elle lancée avec la réforme de l'assurance chômage ? — ALAIN JOCARD / AFP
  • La rentrée sociale a tout d’explosive, dans un climat économique particulièrement tendu pour la population.
  • La goutte d’eau - ou plutôt l’étincelle hautement inflammable - pourrait être la réforme de l’assurance chômage, que le gouvernement veut encore durcir.
  • Le renforcement des conditions d’accès aux cotisations va-t-il mettre le feu aux poudres ?

Loin des salles de classe, la rentrée – sociale – a tout d’une poudrière : une population usée par des années de pandémie, la réforme de l’assurance chômage et celle des retraites, une inflation galopante qui sape le pouvoir d’achat et le moral des Français, et de possibles restrictions d’énergies pour couronner le tout. Dans un contexte aussi explosif, les semaines à venir pourraient être le théâtre d’importantes contestations politiques et sociales. Et comme le chantait notre regretté Johnny, « il suffira d’une étincelle » pour que la situation ne s’envenime.

La réforme de l’assurance chômage, donc, a tout d’une candidate pour mettre le feu aux poudres. L’exécutif souhaite moduler les aides selon la situation du marché du travail : autrement dit, en cette période de faible chômage, en durcir les conditions. Une initiative, lancée la semaine dernière en Conseil des ministres, qui a tout pour déplaire : les principaux syndicats (CFDT, CGT, FO, CFTC, CFE-CGC, FSU, Solidaires et Unsa), ainsi que cinq organisations d’étudiants et de lycéens, ont ouvertement critiqué vendredi dernier dans un communiqué le projet de réforme dans une rare unanimité. Alors que les ministres en charge du dossier présentaient la réforme ce lundi aux partenaires sociaux, faut-il craindre que la marmite sociale ne déborde ?

Une réforme concernante, vraiment ?

Réponse tout en euphémisme de Bruno Cautrès, chercheur à Sciences-Po et spécialiste de la vie politique française : « Le moment n’est pas optimal pour une telle réforme, avec déjà beaucoup d’anxiété sociale. La vie est difficile avec l’inflation. Le gouvernement ne doit pas donner en plus l’impression d’une politique publique n’allant que dans le serrage de vis ».

Par ailleurs, les Français se sentiront-ils concernés par cette réforme, qui ne touche à l’heure actuelle que 7,4 % de la population active ? Pour Stéphane Rozès, politologue et président de CAP (Conseils, analyses et perspectives), il est possible que la population redoute trop sa facture d’électricité pour se soucier des demandeurs d'emploi : « Les préoccupations des Français sont tournées quasi exclusivement vers le pouvoir d’achat. S’ils considèrent que le chômage ne fait pas partie de cette problématique, ils peuvent ne pas manifester d’intérêt pour la réforme ».

Surfer sur l’idée de l’assistanat

Autre élément qui laisse à penser que l’explosion sociale n’aura pas lieu : « en période de difficulté économique, même chez les travailleurs, la solidarité avec les chômeurs a tendance à baisser, note Stéphane Rozès. Le gouvernement surfe sur cette idée d’assistanat à bannir, très répandue chez les classes populaires. Bien sûr, le chômage n’est pas de l’assistanat, il s’agit d’une cotisation sociale, mais l’exécutif joue sur cette confusion » .

Confirmation du côté de Benjamin Morel, docteur en sciences politiques à l’ENS : « Ce n’est pas la réforme la plus dangereuse pour le gouvernement, car plusieurs études montrent qu’elle ne serait pas si impopulaire que ça ». Un sondage Elabe réalisé début août indiquait que 60 % des Français se disent « favorables » aux changements envisagés. La réforme des retraites, autrement plus concernante pour une bonne partie de la population et bien plus impopulaire, serait alors une étincelle plus crédible. Et bien sûr, « si les Français ne peuvent pas finir leur fin de mois, il y aura sans doute une vraie contestation », poursuit le docteur,

Un gouvernement qui tape à côté

Tout dépendra donc de la perception des Français de la réforme de l’assurance chômage, et s’ils l’incluent dans la question du pouvoir d’achat. « Cela reste une mesure sévère pour une partie de la population, dans un contexte de restrictions », rappelle Bruno Cautrès. Même constat chez Stéphane Rozès : « Les Français peuvent considérer que ça reste une réforme qui les appauvrit encore plus. » Le politologue ajoute que malgré les débats actuels autour de l’idée d'assistanat, « les Français sont aussi très attachés à l’égalité et aux conditions de vie, même des plus précaires ».

D’autant que Bruno Cautrès le rappelle, la méthode peut laisser à désirer : les ministres ont consulté ce lundi les partenaires sociaux sans leur laisser la possibilité de changer quoi que ce soit : « L’époque nécessite de l’accompagnement, de la pédagogie, d’y aller progressivement. Surtout pas de donner le sentiment d’une politique obstinée et hors-sol ». Toujours dans la façon de faire, « face aux problématiques de fin de mois, les Français ont du mal à comprendre l’obstination du gouvernement à montrer qu’il réalise de grandes réformes structurelles », rappelle Stéphane Rozès.

Benjamin Morel synthétise : « Dans un contexte aussi tendu, toute étincelle sociale peut dégénérer. Il suffit d’un catalyseur. La réforme du chômage peut en être un, même s’il est moins évident que le budget, les retraites ou le pouvoir d’achat ». Et l’étincelle ne vient pas toujours de là où l’attend.