Inflation : Dans le quartier le plus pauvre de France, « on compte, on a toujours fait comme ça »

REPORTAGE Alors que l'inflation tutoie les sommets, les habitants de la Belle de Mai et du 3e arrondissement de Marseille, le plus pauvre de France, restent stoïques en continuant de compter, ce qu'ils ont toujours fait

Alexandre Vella
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Dans le quartier de la Belle de Mai, à Marseille, les prix alimentaires sont tirés au plus bas
Dans le quartier de la Belle de Mai, à Marseille, les prix alimentaires sont tirés au plus bas — Alexandre Vella / 20 Minutes
  • Le troisième arrondissement de Marseille est le plus pauvre de France, avec un taux de pauvreté qui approche les 55 % et une part d'inactif à 46%.
  • Face à la hausse des prix, les habitants semblent rester stoïques, eux qui ont toujours compté au centime.
  • Les associations d’aide, particulièrement nombreuses dans ce quartier de 50.000 habitants observent toutefois un surplus d’activité et notamment au niveau des médiations pour les factures impayées.

Alors que l'inflation tutoie les sommets, les habitants de la Belle de mai et du 3e arrondissement de Marseille, le plus pauvre de France, restent stoïques. Ici, 46 % de la population âgée de 16 à 65 ans est sans activité selon l'Insee. Près de 55 % vivent sous le seuil de pauvreté, soit un peu plus de 2.000 euros par mois pour une famille avec deux enfants de moins de quatorze ans. « On compte et fait attention. On a toujours fait comme ça », explique simplement Serge, chez qui l’essence n’est pas un débat ; ils n’ont pas de voiture. « On prend un peu moins en quantité, moins de viande aussi. Mais l’huile, la farine… il y a des produits dont ne pas se passer », observe Myriam, mère d’une famille de trois enfants, dont les deux plus jeunes sont à la maternelle. « Ça va qu’il n’y a pas trop de fournitures à cet âge », souffle-t-elle devant la sortie de l’école Félix Pyat.

« Je fais un peu plus souvent crédit aux clients »

Les commerçants constatent toutefois une baisse de leur chiffre d’affaires, malgré une hausse de leur prix. « Les cuisses de poulet, mon produit le moins cher que je vendais 1,90 euro le kilo sont maintenant à plus de 3,50. Jamais la hausse n’avait été aussi brutale », reconnaît Farid, boucher installé depuis seize ans dans le quartier. « Les gens prennent moins en quantité. Souvent 800 grammes au lieu d’un kilo, 300 au lieu de 500… En début de mois ça va encore, mais en fin de mois c’est vraiment calme », constate-t-il devant un client cherchant à négocier son panier de 10,40 euros à 10 euros tout rond. Mohamed, un primeur voisin a rogné ses marges pour garder ses prix qui défient toute concurrence : 1 euro le kilo de pêches, 1,50 celui de tomates… « Les gens doivent bien manger », lance ce patron. « Et forcément je fais un peu plus souvent crédit aux clients en fin de mois ».

Difficile pour qui n’est pas un habitué du quartier de ne pas avoir l’impression de faire des économies. Entre les primeurs, détaillants gros/semi-gros, obscures enseignes de hard discount et boulangerie à prix cassés, il y a longtemps que tous les commerçants du quartier ont tiré les prix au plus bas et coupé la clim des rayons. Les cinq baguettes de pain à 2,50 euros, le kilo de pâte de marque à 1,98 euro. « Je compare quand même plus souvent les prix pour voir où c’est le moins cher », détaille Lydia, cabas en main et maquillage soutenu. « Mais moi, je vis seul, alors ça va », précise cette quinquagénaire. « Enfin, ils disent que ça va s'arrêter en 2023 », espère-t-elle. Signe que l’inflation est toutefois bien là, les traditionelles trois grandes pizzas fromages sont passées dans les snacks du quartier de dix à douze euros, comme le fait remarquer les feuilles de papiers scotchées avec le nouveau prix sur le menu imprimé en devanture.

De leur côté, les associations d’aide ne désemplissent pas. Elles sont dix-huit sur cet arrondissement de 50,000 habitants, à travailler avec la Banque alimentaire pour des distributions. Fait nouveau : « Nous faisons de plus en plus de médiation avec les bailleurs ou fournisseurs d’énergie pour étaler les impayés », remarque Fathia qui accompagne avec son association 80 familles du quartier. L’hiver, et la crise annoncée sur les prix du gaz notamment alors que nombreux logements sont encore équipés de chaudière ancienne, ne devraient pas simplifier son travail.