Le déficit de confiance, facteur aggravant de la crise du Covid-19 en France, selon un rapport

EVALUATION Le Conseil d’analyse économique (CAE) estime qu’il faut renforcer l’indépendance des scientifiques

Nicolas Raffin
Une manifestation contre le pass sanitaire à Marseille, le 18 septembre 2021.
Une manifestation contre le pass sanitaire à Marseille, le 18 septembre 2021. — SOPA Images/SIPA
  • Le CAE a publié un rapport ce mercredi sur la gestion de la crise sanitaire.
  • La défiance latente envers le politique a entraîné un effet économique négatif.
  • Les auteurs préconisent de renforcer la culture scientifique et l’indépendance de ses acteurs.

Tirer les leçons de la crise du Covid-19 pour faire face aux futures crises du XXIe siècle. C’est l’ambitieux défi que s’est lancé le Conseil d’analyse économique (CAE), via une note publiée ce mercredi. « La gestion des crises du XXIe siècle, des pandémies à la crise climatique, repose avant toute chose sur la coopération et la confiance entre l’ensemble des acteurs de la société », assurent les auteurs.

Or, au regard de leur analyse, c’est précisément cette coopération et cette confiance qui ont manqué à la France pour amortir le choc économique du coronavirus. « Les pays où la confiance envers le gouvernement et envers les autres [citoyens] est la plus forte résistent mieux à la crise que les autres », affirme Daniel Cohen, coauteur de la note et professeur à l’Ecole d’économie de Paris (PSE).

Déficit de confiance

En effet, « dans les pays où la confiance interpersonnelle est élevée, les individus se font davantage confiance quant au respect volontaire de distanciation sociale dans les espaces publics. Ceci conduit à une moindre demande de restrictions formelles strictes telles que le confinement », poursuivent les auteurs. Par ailleurs, « l’adhésion et le respect des mesures par la population dépendent fortement de la crédibilité des gouvernements et de la confiance (réciproque) entre les autorités et la population ».

Malheureusement, dès le début de la pandémie, l’Hexagone a souffert d’un déficit dans ce domaine. « En avril 2020, les Français étaient 40 % à considérer que le gouvernement avait bien géré la crise », rappelle le CAE. Alors qu’au même moment, ces taux étaient largement supérieurs en Allemagne et au Royaume-Uni (avec 75 % de répondants satisfaits de leur gouvernement). Ce manque initial de confiance n’a pas été rattrapé par la suite.

Une agence scientifique indépendante du politique

La communication du gouvernement sur la pénurie de masques est à cet égard particulièrement révélatrice. Après avoir affirmé, par la voix de sa porte-parole, que les masques « n’étaient pas nécessaires si l’on n’est pas malade », l’exécutif a fini par le rendre obligatoire. De quoi alimenter une défiance déjà bien ancrée. « Il fallait dire dès le début qu’on n’avait pas assez de masques et qu’on les distribuerait avec parcimonie, plutôt que de dire qu’ils ne servaient à rien », avait d’ailleurs reconnu le patron des sénateurs LREM, François Patriat.

Si le CAE ne mentionne pas explicitement cet épisode dans son rapport, il préconise néanmoins de doter la France d’une véritable agence de santé indépendante du pouvoir politique. « Une telle instance pourrait à la fois produire des données publiques et des enquêtes, afin que la vérité scientifique ne provienne pas du gouvernement », propose Daniel Cohen. Les auteurs souhaitent donc revoir le fonctionnement de « Santé publique France », qui est pour l’instant rattachée au ministère de la Santé.

Améliorer la culture scientifique

Avoir une véritable agence indépendante permettrait « de maintenir la confiance [des citoyens] dans les scientifiques », affirme le CAE. En effet, si l’exécutif s’est entouré très vite d’un « Conseil scientifique » pour éclairer ses décisions, ce dernier était composé en majorité de médecins spécialistes des épidémies, ce qui a « rendu difficile l’évaluation des autres dimensions de la crise », constate le rapport. La dégradation de la santé mentale des Français a ainsi tardé à être prise en compte : il a fallu attendre février 2021 pour qu’une psychiatre soit nommée au Conseil scientifique.

Pour renforcer la confiance, le CAE propose enfin « d’améliorer l’éducation scientifique » à l’école. En effet, les auteurs de la note rappellent que plus les résultats d’un pays aux tests PISA sont élevés, plus les citoyens de ce pays ont confiance dans les scientifiques. Ce qui permet ensuite de mettre plus facilement en place des politiques de santé publique, comme la campagne de vaccination, sans recourir à la contrainte.

Afin d’affronter les prochaines crises plus sereinement, il faudra donc travailler sur cette confiance entre citoyens, scientifiques, et gouvernement. Ce n’est pas irréalisable : le CAE remarque que l’exécutif a « choisi de faire confiance » aux entreprises pendant la crise, en ouvrant les vannes financières et en organisant des contrôles a posteriori, ce qui a permis de maintenir l’économie à flot. Tout l’enjeu pour le futur sera donc d’appliquer la même attitude – « transparence et lisibilité » des décisions, « bienveillance et équité » – envers les citoyens.