Fraude aux prestations sociales : « Il faut développer la culture de la lutte contre ce phénomène », juge le député Pascal Brindeau
INTERVIEW Pascal Brindeau, rapporteur de la commission d’enquête « relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales » estime que les organismes qui versent les prestations ne font pas leur maximum pour lutter contre le phénomène
- Une commission d'enquête des députés sur la fraude aux prestations sociales doit rendre ses conclusions la semaine prochaine.
- Son rapporteur estime que l'Etat n'en fait pas assez face à la fraude.
- Il évalue cette dernière entre 14 et 45 milliards d'euros par an.
Combien coûte la fraude aux prestations sociales ? L’exercice de chiffrage est par nature très difficile. Le Sénat s’en était déclaré incapable, avant de refiler la patate chaude à la Cour des comptes. Dans son rapport publié mardi, celle-ci reconnaît à son tour qu’un montant précis est incalculable pour le moment.
Pour le député UDI Pascal Brindeau, rapporteur de la commission d’enquête « relative à la lutte contre les fraudes aux prestations sociales » qui doit publier la semaine prochaine ses recommandations, il faut notamment harmoniser les bases de données des différents organismes.
Le rapport de la Cour des Comptes ne donne pas de montant précis de la fraude aux prestations sociales. Est-ce surprenant ?
C’est difficile d’évaluer de manière précise la réalité de la fraude. Pourtant celle-ci est réelle et représente des sommes importantes. La Cour des Comptes a chiffré le préjudice détecté à un milliard d’euros, mais les montants fraudés sont sans aucun doute beaucoup très supérieurs.
Pour notre part, nous nous sommes appuyés sur une étude de l’université de Porstmouth, selon laquelle les pays qui ont des systèmes de prestations sociales comparables (Allemagne, Angleterre, Espagne) présentent une fraude comprise entre 3 et 10 % du montant total versé. En France, il y a 450 milliards d’euros de prestations sociales versés chaque année. Donc vous avez une fourchette plausible de fraude annuelle comprise entre 14 et 45 milliards d’euros.
Quels sont les principaux freins à la lutte contre la fraude ?
Si vous êtes nés à l’étranger et que vous demandez une prestation en France (Sécurité sociale, CAF…), vous êtes immatriculés par le service national d’identification (Sandia). En général, les personnes doivent fournir des documents tel qu’un titre de séjour et la justification de leur état civil (acte de naissance, par exemple). Le Sandia doit vérifier la réalité de ces documents, mais il le fait sur la base de photocopies en noir et blanc envoyées par les organismes ! Même s’ils travaillent en collaboration avec la police, cela complique la tâche, et avec cette méthode, c’est impossible de détecter de vrais documents (passeports, carte d’identité) qui auraient été volés ou copiés.
Nous préconisons plusieurs choses. D’abord, il faut arrêter les photocopies et à la place, il faut transférer numériquement les documents en haute définition. Ensuite, vous avez un certain nombre de pays, notamment en Afrique subsaharienne où la qualité des documents d’état-civil est faible. Pour ces pays-là, il faut renverser la « charge de la preuve » inscrite dans le Code civil : alors qu’aujourd’hui c’est à l’organisme public de prouver qu’il n’a pas affaire à un document authentique, demain ce serait au demandeur d’apporter cette preuve.
Enfin, la plupart des prestations sont versées en France sur la base de la déclaration, et l’administration peut contrôler a posteriori. C’est une source d’erreur voire de fraude. Nous préconisons de faire en sorte que l’état de situation d’une personne (situation fiscale, domicile, état marital) soit renseigné au sein d’un répertoire unique des prestations sociales par les organismes (Caf, Fisc, mairies…) Aujourd’hui les données ne sont pas partagées alors qu’on sait que le partage de données est efficace pour lutter contre la fraude, notamment fiscale. La Belgique a construit un tel système dans le respect du RGPD, donc c’est possible de le faire.
Le gouvernement en fait-il assez dans la lutte contre la fraude ?
Il y a encore du travail pour que le gouvernement prenne conscience de la nécessité de cette lutte. Les organismes qui versent les prestations n’en font pas assez. Il y a une réticence. Ils ont la culture du versement de la prestation, pas celle du contrôle et pas celle de la lutte contre la fraude, qu’il faut développer. Nous préconisons la création d’une agence de lutte contre la fraude, une multiplication des formations, et un renforcement des moyens alloués au contrôle. Ça ne coûtera pas cher aux finances publiques, puisque la lutte contre la fraude permettra justement de récupérer des sommes indûment versées.