Gouvernement Castex : De quelle relance Bruno Le Maire, reconduit à Bercy, sera-t-il le ministre ?
« QUOI QU'IL EN COUTE » Bruno Le Maire est non seulement le ministre de l’Economie et des Finances, mais aussi, désormais, celui de la « Relance ». Un terme qui n’est pas neutre pour les économistes
- Avec le départ de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur, Bruno Le Maire devient le seul poids lourd du gouvernement à être aux manettes de Bercy. Et devient aussi le ministre de la « Relance ».
- Lors de la passation de pouvoirs, ce mardi 7 juillet, le ministre a beaucoup insisté sur ce point, ce qui pourrait traduire une inflexion de la politique économique en période de coronavirus.
- Mais dans le même temps, il a aussi rappelé qu’on « peut faire la relance et rester soucieux des comptes publics », ce qui interroge certains observateurs.
Voilà un terme a priori plutôt rassurant en temps de crise. Reconduit dans le gouvernement Castex, Bruno Le Maire est non seulement ministre de l’Economie et des Finances, mais aussi de la « Relance ». « Ma feuille de route est claire et simple. Ce sera la relance le matin, la relance le midi et la relance le soir », a-t-il insisté ce mardi 7 juillet, lors de la passation de pouvoirs qui acte le départ de Gérald Darmanin au ministère de l’Intérieur.
Un ministre pris au mot
Alors que la rentrée promet d’être dure en termes de faillites et de suppressions d’emplois, le gouvernement se sait attendu de nouvelles réponses face à la crise économique. Ce nouveau titre confirmerait-il une particulière générosité de son plan de relance, déjà attendu depuis plusieurs semaines ? Secrétaire général de Force ouvrière, Yves Veyrier l’a pris au mot ce matin, sur France Inter : « puisqu’il est confirmé dans la relance, je veux lui dire : Allez-y franco. Il faut mettre le paquet sur l’activité, l’emploi, sur les compétences et sur les salaires ». Le syndicaliste apprécie aussi la volonté de Bruno Le Maire de « taxer les Gafa » et met au crédit du ministre d’avoir « réagi récemment à des plans de suppressions d’emplois ».
« Ce qui est intéressant, c’est que ça vient d’un ministre qui n’a pas cette réputation keynésienne et interventionniste. La question qui va se poser, c’est le périmètre de cette relance. Soit les jeux sont vraiment ouverts, soit ce n’est que de l’affichage », remarque Mathieu Plane. Or pour l’économiste de l’OFCE, assumer ce terme, c’est continuer dans le « quoi qu’il en coûte » : donc dépenser encore plus, quitte à augmenter une dette attendue à 121 % du PIB d’ici la fin de l’année, afin d’éviter le maximum de faillites et une dépression durable de l’économie.
Des entreprises exsangues
« La contrepartie à un plan de relance ambitieux, c’est la dette », confirme le membre de l’OFCE. Son observatoire estime, déjà, à 8 milliards d'euros l'effort budgétaire supplémentaire à consacrer aux entreprises pour soulager leurs problèmes de trésorerie. Or à la mi-juin, l’exécutif précisait que sur le total de 463 milliards d’euros mobilisés, seuls 58 milliards d’euros correspondaient à de l’argent frais, tandis que 78 milliards d’euros correspondent à des reports d’échéances de paiement, et restent donc sur les ardoises des entreprises. Les 328 milliards d’euros restants sont en réalité des mesures de garantie de prêts accordés par l’Etat, qui ne correspondent pas à de la dépense.
« Il y a la question des fonds propres des entreprises. Malgré les dispositifs, elles ont déjà perdu plus de 50 milliards d’euros sur quatre mois. En sortie de crise, elles vont avoir les pertes, les dettes et des niveaux d’activité plus bas qu’avant », rappelle Mathieu Plane.
Prudence sur la relance
Pour le moment, Bercy s’est montré tatillon quant à l’idée d’engager de nouvelles dépenses, estimant qu’il en a déjà beaucoup fait, en particulier avec le chômage partiel. Qu’il s’agisse d’utiliser la TVA pour stimuler la consommation, d’augmenter les emplois aidés, la réponse a été la même jusqu’ici : trop cher et pas efficace. Pourtant, selon Mathieu Plane, il peut être possible d’actionner une baisse de TVA au secteur des services non délocalisables qui n’accentuerait pas le déficit commercial français, tandis que des emplois aidés pourront aussi stimuler la consommation. « On a une épargne qui est colossale, et la simple confiance ne suffira pas à amener les ménages à consommer », estime l’économiste.
La tension sur les finances publiques s’est aussi vue concernant l’aide aux entreprises en plus des gros plans sectoriels destinés aux secteurs les plus en difficulté. Le 29 juin dernier, lors de la présentation du troisième projet de loi de finances rectificatives, les TPE n’ont, par exemple, pas obtenu des annulations de cotisations sociales équivalentes à celles qui concernent les secteurs en difficulté (hôtellerie, restauration, tourisme…). Le fonds de solidarité qui leur a été destiné n’a été reconduit que pour le mois de juin, au regret du SDI, un syndicat représentant les très petites entreprises.
Nouveau coup de pouce pour les petites entreprises ?
Reste à savoir si Bruno Le Maire restera sur cette ligne, ou si la nomination d’Alain Griset, le président de l’Union des entreprises de proximité (U2P) au poste de ministre délégué aux PME, donnera lieu à un coup de pouce supplémentaire pour des petits entrepreneurs toujours inquiets quant à leur trésorerie. Il réclamait, au travers de son organisation qui représente les artisans, commerçants, et professions libérales, la suppression des cotisations sociales personnelles des chefs d’entreprise et le maintien jusqu’en décembre du fonds de solidarité. « Ce sera une relance économique qui accordera son attention aux plus petits », a déclaré ce mardi Bruno Le Maire, qualifiant de « signal politique très fort » la nomination de cet ancien chauffeur de taxi.
Le « pacte productif », qui fait partie du plan de relance, donnera aussi une idée de l’ampleur des investissements que le gouvernement consentira pour moderniser l’économie, et en particulier l’industrie française. Pour le moment, selon l’AFP, le gouvernement mise sur un soutien à l’investissement dans des modes de production moins émetteurs de CO2, notamment via la robotisation des PME, mais aussi toujours sur une baisse des impôts de production qui pèsent sur les entreprises.
La France « droguée à la finance publique »
Qu’attendre donc du ministre de l’Economie aujourd’hui ? Jusqu’à son entrée dans le gouvernement Macron, l’ex-ministre de l’Agriculture (2009-2012) sous l’ère Sarkozy défendait des positions libérales : suppression de l’ISF, réduction des allocations-chômage, plafonnement des aides sociales, suppression des contrats aidés. Des positions qu’il a continué à tenir une fois arrivé à Bercy, affirmant par exemple en juin 2017 que la France était « droguée à la dépense publique ». Encore en mai 2019, il affirmait que le gouvernement n’avait pas renoncé, d’ici à 2022, à l'objectif de suppression de 120.000 postes de fonctionnaires.
Et même en pleine crise, il continue de le rappeler. « On peut faire la relance et rester soucieux des comptes publics. (…) Je ne vois aucune antinomie entre les deux. (…) Il y a une véritable interrogation sur les comptes publics, sur le niveau de la dette, nous y répondrons. Et il n’est pas question que la relance économique se fasse au détriment, sur le long terme, de la bonne tenue des comptes publics français », a-t-il insisté ce mardi.
« Ce n’est pas un radical »
Des mots qui ne convainquent pas tout à fait Jonas Haddad, vice-président de la Fondation Concorde, un think tank économique libéral qui craint, malgré les précautions de Bruno Le Maire, que la dette ne file davantage vu l’absence d’économies sur les dépenses publiques qui auraient pu être réutilisées. « Ce qui nous fait douter, c’est qu’il y a un certain nombre de réformes structurelles qui n’ont pas été faites, sur la fonction publique, la fraude sociale. Depuis son entrée au gouvernement, la réduction de la dépense publique n’a pas été drastique et sur la politique industrielle, il n’y a pas eu d’énorme saut quantitatif ou qualitatif », explique l’avocat, membre du parti Les Républicains.
De quoi interroger sur les positions économiques de Bruno Le Maire, qui ont largement évolué depuis son entrée dans le gouvernement sous l’ère Macron. « Je ne saurais pas dans quelle case le mettre. Ce n’est pas un radical », reconnaît Jonas Haddad. Ce que l’intéressé admet aussi à sa manière. « Il y aurait eu peu de monde pour parier que, trois ans plus tard, nous serions capables de dépenser autant d’argent public, que l’État soutiendrait aussi puissamment l’économie française. Dépenser des dizaines de milliards pour nos PME, nos TPE, nos indépendants, nos commerçants, si ce n’est pas se réinventer, je ne sais pas comment cela s’appelle ! », a-t-il reconnu le 29 juin dernier, devant les députés.