Baisse des salaires, temps de travail remanié… Faut-il conclure des accords de performance collective pour protéger l’emploi ?

CRISE Afin d’éviter les licenciements, le gouvernement met en avant les accords de performance collective pour baisser les salaires ou agir sur le temps de travail. Un sujet qui suscite la méfiance des syndicats, au vu des expériences passées

Catherine Abou El Khair
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Au siège de Derichebourg aéronautics dans l'agglomération toulousaine. Cette entreprise envisage un "accord de performance collective" pour répondre à la crise
Au siège de Derichebourg aéronautics dans l'agglomération toulousaine. Cette entreprise envisage un "accord de performance collective" pour répondre à la crise — Remy Gabalda / AFP
  • Le gouvernement invite les entreprises à négocier des accords dits « de performance collective » pour moduler le temps de travail et les salaires. Une manière de réaliser des économies, en particulier dans cette période de crise du coronavirus.
  • De telles négociations seraient à terme « plus créatrices d’emploi », assure Agnès Pannier-Runacher, secrétaire d’Etat auprès du ministre de l’Economie et des finances.
  • Une affirmation à nuancer : certains précédents montrent que les efforts de compétitivité des salariés, notamment dans l’industrie, n’ont pas empêché des suppressions d’emploi. Le contexte économique et les perspectives commerciales des entreprises jouent un rôle-clé dans l’opportunité de tels accords.

Moins d’un mois après le début du déconfinement, les salariés sont déjà invités à payer les pots cassés de la crise née de la pandémie de coronavirus. Derichebourg Aeronautics, un sous-traitant d’Airbus, a annoncé vouloir supprimer 13e mois, indemnités et primes en complément de suppressions d’emplois aussi envisagées. Même volonté d’économies salariales du côté de Malta Air, filiale maltaise du groupe Ryanair, qui veut diminuer la rémunération de quelque 180 personnels navigants commerciaux pendant cinq ans, mais aussi celle de ses pilotes, selon RTL. Faute de quoi, la direction menace de licenciements en France.

Depuis la réforme du Code du Travail de 2017, un outil juridique à la disposition des entreprises permet de revenir sur de tels acquis avec beaucoup plus de facilité : il s’agit des accords de performance collective (APC). A condition d’être signés par les syndicats (ou en leur absence par le CSE, et à défaut par deux tiers des salariés dans les petites entreprises), ils l’emportent sur les clauses présentes dans les contrats de travail individuels. Une petite révolution dans le droit du travail qui implique qu’un salarié qui refuse ces changements peut être licencié par l’entreprise.

Une nouveauté issue des ordonnances

Dans le contexte actuel, les pouvoirs publics mettent en avant cet outil pour éviter d’en passer directement aux licenciements. « A terme, ces négociations sont plus créatrices d’emploi », a même assuré sur France Inter la secrétaire d’Etat Agnès Pannier Runacher.

Le jeu en vaut-il la chandelle ? Certains syndicats en doutent. Si la question se pose autant en France, c’est qu’il s’agit « d’un type d’accord radicalement nouveau, détaille Christian Pellet, dirigeant de Sextant, un cabinet d’expertise qui conseille les comités sociaux et économiques. Ces accords impliquent de savoir négocier et de faire des compromis, ce qui n’est pas dans la culture française ». Sous le quinquennat Hollande, des accords de maintien de l’emploi étaient possibles. Mais le dispositif était plus contraignant pour les entreprises, qui se voyaient imposer des contreparties (pas de licenciements économiques, efforts des actionnaires…) Il a fait un flop : à peine 10 accords étaient signés en 2015, contre « plus de 300 » pour la nouvelle formule adoptée en 2017, selon la ministre du Travail, Muriel Pénicaud.

Potion amère pour les syndicats

« Cela peut donner une chance, en théorie, de préserver l’emploi. Ces accords permettent aux entreprises de faire le maximum avant d’opter pour un plan social, brutal et traumatisant », explique Christian Pellet. Mais les organisations syndicales redoutent la potion amère. « Ces accords peuvent permettre de raboter les acquis sociaux des salariés de manière sécurisée, tout en étant sûr qu’une réduction des coûts aura lieu, puisque des salariés sont aussi susceptibles de refuser l’accord et donc de quitter l’entreprise. C’est le double effet kiss-cool », reprend-il. Même dans le contexte de ces accords de performance, des suppressions d’effectifs sont donc possibles.

Et si les syndicats se méfient, c’est aussi que cette méthode présente des airs de déjà-vu. Si l’accord de performance collective est bien nouveau, certaines entreprises avaient déjà, dans le passé, négocié avec les syndicats le temps de travail et la rémunération dans l’objectif de protéger les emplois. Avec des issues plus ou moins positives. Selon Yves Veyrier, le numéro un de FO, il y a « des exemples passés où on a contraint les salariés, par le biais d’une forme de chantage à l’emploi, à accepter des baisses de salaires (…) pour au final que des emplois soient malgré tout supprimés ».

Des expériences malheureuses

C’est le cas de Mahle Behr, un équipementier automobile basé à Rouffach (Haut-Rhin), qui a été l’un des premiers à signer, en 2013, un accord de maintien dans l’emploi. Il prévoyait un gel des salaires pendant trois ans et une baisse, de 15 à 10, du nombre de jours de RTT. A la clé : un plan social en parallèle moins important qu’annoncé. Un second accord a suivi en 2016. Malgré cela, l’entreprise n’est pas sortie de l’ornière. Fin 2019, l’entreprise a annoncé un plan social. « Les multiples efforts consentis par les salariés n’y ont rien changé, d’où le sentiment général d’avoir été abusés », expliquaient les délégués syndicaux dans les Dernières nouvelles d’Alsace, fin 2019. Concurrence des pays de l’Est, absence de projet : au fil du temps, les salariés de cette entreprise  ont accusé le coup, perdant leurs illusions quant à l’utilité de leurs sacrifices.

Des expériences qui restent dans les mémoires. « Dans le cas de Mahle Behr, les syndicats ont fini par changer d’avis sur l’intérêt de ces accords, analyse Jean-Christophe Scilien, professeur de gestion à l’Université Paris-Nanterre. Quand la marge est trop atteinte, et que le chiffre d’affaires baisse trop, on peut estimer que de tels efforts par les salariés n’ont, in fine, servi à rien ».

Prise de risque

Il n’empêche, il s’agit là d’un bilan a posteriori. « Lorsque les syndicats signent ce type d’accords, ils ne disposent pas de cette visibilité. D’autant que parfois, les choses se jouent sur des éléments que personne ne peut prédire. Dans le cas de Mahle Behr, l’accord de 2013 devait servir à remporter un appel d’offres, qu’ils n’ont finalement pas obtenu », poursuit ce connaisseur de l’industrie automobile.

Des contre-exemples existent également, tel le cas des Chantiers Navals de Saint-Nazaire, dont certains syndicats ont consenti en 2013 à bloquer la moitié des jours de RTT pendant trois ans. « Cela permet, à un moment où l’entreprise est menacée, de montrer qu’elle est capable de gagner en compétitivité. A l’époque, cela les a remis sur une dynamique », estime Christian Pellet, de Sextant Expertise. Mais la signature de l’accord est aussi arrivée dans un contexte plus porteur : celui d’une « conjoncture favorable avec un marché de la croisière en pleine expansion », reconnaissait en 2016 la CFDT.

Problèmes de cash

L’impact de tels deals dépend donc de la situation de l’entreprise, mais aussi du contexte. Que penser, donc, des accords de performance collective dans ce contexte de pandémie ? Pour Jean-Christophe Scilien, ils peuvent être un moyen d’éviter le dépôt de bilan susceptible de pendre au nez des entreprises après le passage à vide du confinement : « Dans les entreprises de petite taille, cela peut être un élément majeur de survie, quand la banque refuse d’accorder un prêt et que la menace est le redressement judiciaire ».

En revanche, dans les plus grosses structures, qui disposent d’une trésorerie et de prêts garantis par l’Etat, « l’urgence est moindre », reconnaît-il. Dans tous les cas, « ces accords de performance collective fonctionneront dès lors que l’on sait qu’il y aura du travail à terme. Si la crise est plus profonde, l’accord négocié ne servira à rien, il sera remis en question ».

Efficace en cas de contreparties

Chercheure associée au Centre d’études de l’emploi et du travail (CEET), Catherine Spieser appelle à la prudence. « On peut penser que les accords de performance permettent d’améliorer à la marge la situation de l’entreprise face à la concurrence, mais dans la crise actuelle, ce n’est pas le problème principal », explique la sociologue, qui a étudié les effets de la crise de 2008-2009.

« D’autre part, les travaux sur les négociations d’entreprise type "compétitivité-emploi" dans d’autres pays, notamment en Allemagne, ont montré que c’est seulement lorsqu’ils sont accompagnés d’un réel engagement de la direction d’entreprise pour préserver les sites que l’emploi est durablement préservé », poursuit-elle. Ce qui passe notamment par des « réorientations de production », des « investissements nécessaires avec un horizon dépassant le court terme ». Et des commandes… Pas facile dans la période actuelle.