Coronavirus : Fragiles depuis toujours, au « front », hyperconnectés… Quels sont les métiers les plus vulnérables face à la crise ?

ETUDE France Stratégie a établi une typologie qui classe les métiers suivant plusieurs catégories de risques (sanitaire, économique, psychique…)

Nicolas Raffin
Une caissière face à Emmanuel Macron, le 22 avril 2020.
Une caissière face à Emmanuel Macron, le 22 avril 2020. — Sipa
  • L’organisme France Stratégie a classé les métiers selon leur vulnérabilité.
  • Qu’ils soient « vulnérables de toujours » ou « hyperconnectés », aucun secteur n’est épargné.
  • L’étude permet de prendre la mesure du choc provoqué par le coronavirus.

En quelques semaines, le coronavirus a bouleversé le rapport au travail de millions de Français. Les soignants, déjà éprouvés depuis des années, se sont retrouvés en première ligne. Les éboueurs, les caissières, ont été salués pour leur utilité sociale. Les coiffeurs ont dû baisser le rideau. Les ouvriers de l’automobile ont été mis au chômage partiel. Les cadres de grands groupes se sont retrouvés en télétravail forcé. Tous ces métiers ont subi, à leur échelle, des transformations de leurs conditions d’exercice, parfois brutales.

Pour mieux comprendre ces nouveaux risques, France Stratégie a publié ce mercredi une étude sur la « vulnérabilité » des métiers au temps du confinement. L’organisme public rattaché à Matignon a identifié trois grands types de risques : la vulnérabilité économique (contrats précaires, secteurs où l’activité est arrêtée, impossibilité de télétravailler), celle des conditions de vie (petit logement où le confinement est moins supportable, enfants à charge, faible salaire, handicap), et enfin celle qui découle des conditions de travail (contact avec le public et donc risque de contamination, travail physique, stress).

Le risque d’un arrêt prolongé

A partir de ces facteurs de risques, l’étude propose une classification des métiers suivant qu’ils cumulent ou non plusieurs facteurs de vulnérabilité. Il y a d’abord ceux que France Stratégie appelle « les vulnérables de toujours » : ce sont des métiers déjà fragilisés avant la crise et pour qui le coronavirus n’arrange rien. Il s’agit par exemple des ouvriers de l’industrie et du bâtiment, des marins, des employés administratifs ou encore des personnels de ménage. Selon l’étude, 4,2 millions de personnes se rangent dans cette catégorie où se cumulent souvent un statut précaire, un salaire faible, un métier physique et une activité fortement réduite depuis mars.

L’étude estime également que près de 4,3 millions de personnes peuvent être considérées comme des « nouveaux vulnérables ». Si l’emploi dans ces métiers avait « bien résisté, voire progressé ces dernières années », note France Stratégie, la crise économique du Covid-19 a tout mis par terre. Sans surprise, on retrouve ici l’ensemble de l’hôtellerie-restauration (patrons, serveurs, cuisiniers), les métiers de services aux particuliers (coiffeurs, esthéticiennes…), mais aussi les professionnels de la culture ou du sport. Si le moment actuel est particulièrement difficile, l’après-crise s’annonce tout aussi compliqué pour eux : « Leur vulnérabilité individuelle peut affecter leur capacité de rebond, d’autant que les indépendants en solo sont nombreux, relèvent les auteurs. Pour ces derniers, un arrêt prolongé de leur activité les menacerait durablement (difficultés de trésorerie, impossibilité de recourir au chômage partiel). » Ainsi, les bars et restaurants ne rouvriront pas, au mieux, avant juin, comme l’a expliqué Edouard Philippe aux députés mardi. Au total, ce sont donc 8,5 millions de travailleurs pour qui la vulnérabilité économique est très forte dans cette période.

Plus de 10 millions de personnes « au front »

La crise du coronavirus a aussi fait apparaître une catégorie de métiers envoyés « au front », pour reprendre la fameuse analogie guerrière. Selon l’étude, 10,3 millions de Français se rangent dans cette catégorie. Ces derniers ne sont pas menacés économiquement, mais « sont pour la plupart soumis à un risque infectieux par leur contact direct avec le public : 73 % font habituellement face aux usagers, clients ou patients. » Il s’agit évidemment des professions hospitalières (médecins, infirmières, aides-soignantes), des métiers régaliens (police, pompiers, armée), mais aussi des caissières ou encore des éboueurs, auxquels pourront s’ajouter les enseignants lorsque les écoles et collèges rouvriront. Au total, 65 % des effectifs de cette catégorie sont des femmes.

Pour elles, le risque n’est pas seulement sanitaire : « chez les professionnels de santé, la charge mentale et la pression temporelle dues notamment à la réorganisation des services et à l’afflux de patients sont autant de facteurs susceptibles de dégrader les conditions de travail à court terme » explique France Stratégie. En outre, « ces professionnels travaillent plus fréquemment le week-end, le soir ou la nuit ».

Risque d’épuisement professionnel

Moins sujets au danger économique ou sanitaire, 4 millions d’emplois sont concernés par un risque « d’hyperconnectivité ». Il s’agit surtout des cadres placés en télétravail. « Il peut être subi et, en ce sens, occasionner une réorganisation du travail, explique le think-tank. La difficulté d’organiser cet effort collectif à distance et la tendance à l’hyperconnectivité, pour répondre aux urgences, exposent les cadres à une dégradation de leurs conditions de travail, aggravée par la difficulté à concilier vie familiale et vie professionnelle. » Cette mise sous tension pourrait être à l’origine d’épuisement professionnel, puisqu’avant le confinement, 81 % des cadres déclaraient déjà avoir des quantités de travail excessives.

Dernière catégorie recensée par France Stratégie, les métiers « contraints à l’inactivité partielle », soit environ 4 millions de personnes. Il s’agit par exemple des employés de banques, des comptables, des attachés commerciaux ou encore des secrétaires administratives. « Ils travaillent moins à distance que les cadres, ce qui les contraint à l’inactivité partielle » explique France Stratégie. Le plus problématique pour eux, c’est que leur fonction de support ou de soutien au collectif se retrouve questionnée quand tout le monde se « gère » en télétravail. « Cette situation porte en elle des risques d’éloignement de la sphère professionnelle et de désocialisation » conclut l’étude.