CHUTE DEVANTLa France doit-elle vraiment être une « start-up nation » ?

Cinq raisons qui montrent que la France n’a pas tout à gagner à être une « start-up nation »

CHUTE DEVANTDans son livre à paraître « Start up mania », le journaliste Michel Turin prédit un éclatement imminent de la bulle des start-up
Emmanuel Macron salue un robot au salon Viva Tech de 2017.
Emmanuel Macron salue un robot au salon Viva Tech de 2017. - Jacques Witt/SIPA
Nicolas Raffin

Nicolas Raffin

L'essentiel

  • Le président Emmanuel Macron est un fan inconditionnel des start-up.
  • A plusieurs reprises, il a vanté leur modèle et entend s’en inspirer.
  • Mais le livre « Start-up Mania » rappelle que l’écosystème et le fonctionnement des start-up sont loin d’être idylliques.

Officiellement, la France est un État laïc depuis 1905. Mais un nouveau culte apparu depuis quelques années menace cet équilibre. Il séduit de plus en plus de fidèles, jusque dans les hautes sphères du pouvoir. Ses adeptes utilisent des mots codés – « pivot », « disruptif », « business angel » – et se retrouvent dans des temples aux noms ésotériques – Station F, Numa. Cette religion, c’est bien entendu la « start-up nation », dont le meilleur prophète n’est autre qu’ Emmanuel Macron.

« Je veux que la France soit une nation start-up, qui travaille pour et avec les start-up, mais aussi qui pense et bouge comme une start-up » avait prêché le chef de l’État lors de son homélie de juin 2017 au salon Vivatech. Il faut dire qu’une jeune entreprise innovante, avec un fort potentiel de croissance (la définition basique de la start-up), fait forcément écho au parcours politique d’Emmanuel Macron.

Pour autant, célébrer la « French Tech » – le mouvement français des start-up – en espérant y voir émerger le futur Google ou Amazon est-il réaliste ? Non, et c’est même dangereux, répond en substance Michel Turin. Dans son nouveau livre, « Start-up Mania »*, le journaliste économique développe une sévère mise en garde à l’encontre de ceux qui verraient les start-up comme un nouvel eldorado. 20 Minutes a pu lire l’ouvrage en avant-première et en a extrait cinq arguments qui montrent pourquoi il faut garder la tête froide devant la frénésie startupeuse.

1. Parce que l’environnement des start-up ressemble souvent au village Potemkine

L’expression « village Potemkine » désigne un subterfuge visant à dissimuler la réalité. Chez les start-up, cet art serait pratiqué avec un grand soin dans la configuration des locaux. Michel Turin note qu’ils possèdent leurs propres codes, à mi-chemin entre « la cour de récréation » (avec baby-foot) et « le trois-pièces-cuisine » imitant un appartement kitsch.

Sauf que derrière le vernis, « les bac + 5 recrutés par les start-up se retrouvent souvent occupés à exécuter des tâches répétitives et sans grande valeur ajoutée », écrit le journaliste. Pire, « l’ambiance de travail prétendument décontractée et les open spaces censément chaleureux font passer la grosse pilule des conditions de travail proches de l’esclavage ». Toujours envie de se faire une petite partie de baby-foot ?

2. Parce que la « vallée de la mort » n’est jamais loin

Dans le jargon des start-up, la « vallée de la mort » (Valley of Death, si vous travaillez dans une start-up) désigne le moment où les premiers fonds engagés arrivent à épuisement. A ce moment-là, de nombreuses jeunes pousses, pas encore rentables, n’arrivent pas à convaincre de nouveaux investisseurs et sont rayées de la carte. Même si les statistiques disponibles sont rares, les différentes études mises en avant par l’auteur font état d’un taux d’échec qui oscille entre 70 % et 90 %.

Les entrepreneurs ne devraient s’en prendre qu’à eux-mêmes : le livre cite le travail fait par le cabinet CB Insights. Ce dernier a étudié les « causes de décès » d’une centaine de start-up, et affirme que « l’absence de marché » est responsable de 42 % des « décès », devant le manque d’argent (29 %). « Très souvent, les primo-entrepreneurs ne maîtrisent pas leur sujet », cingle Michel Turin. Ils sont « beaucoup plus préoccupés par la recherche de financements que par la nécessité de répondre à un besoin de marché ».

3. Parce que les start-up ont un profil très monolithique

L’imaginaire de la start-up laisse penser que n’importe qui peut monter une entreprise et faire fortune. Rien n’est plus faux. Une étude de la conférence des grandes écoles montre par exemple que 79 % des fondateurs de start-up françaises présents au CES 2016 de Las Vegas (la grand-messe des start-up) étaient passés par une grande école.

Une autre étude de l’Observatoire de la French Tech datée de 2017 révélait quant à elle que 90 % des start-upeurs étaient des hommes. Et nombre d’entre eux peuvent compter sur leurs proches ou leur famille aisée pour se lancer à moindres frais. « Les start-up ne sont pas un ascenseur social », assène Michel Turin, qui rappelle par ailleurs que les femmes qui lancent leurs projets sont souvent victimes de préjugés sexistes de la part des investisseurs de la French Tech.

4. Parce qu’elles ne dynamisent pas l’économie

Par définition, les start-up comptent souvent peu de salariés (moins d’une dizaine). Elles font souvent partie du secteur du numérique, là où « l’intensité » de la main-d’œuvre (nombre de travailleurs nécessaires pour produire) est faible. Michel Turin cite Patrick Artus, le chef économiste de Natixis : « l’idée que les start-up et les emplois du numérique vont faire disparaître le chômage est une illusion ».

De même, le livre rappelle que le total des levées de fonds réalisées par les start-up françaises en 2018 s’élevait à 3,2 milliards d’euros. Un montant qui peut paraître impressionnant, mais qui ne représente que 0,9 % des nouveaux crédits accordés chaque année à l’ensemble des entreprises.

5. Parce qu’elles sont dans une bulle qui va éclater

« Quand tout le monde rêve de créer sa start-up, c’est que les choses ne vont pas tarder à se gâter » prévient Michel Turin. Le journaliste économique rappelle que de nombreuses start-up accumulent des pertes colossales année après année, ce qui pourrait finir par alerter les investisseurs. Uber a ainsi perdu plusieurs milliards d’euros en 2019 et ne vise la rentabilité qu’en 2021. WeWork, spécialisé dans les bureaux partagés, a vu sa valorisation passer de 47 à 8 milliards en quelques mois. « La question n’est pas de savoir si c’est une bulle, explique le cofondateur d’une start-up interrogé dans le livre, mais de savoir si elle durera assez longtemps pour que je surfe dessus ».

Start-Up Mania, la French Tech à l’épreuve des faits (En librairie le 5 février 2020. Calmann-Levy, 18 euros).