Emploi : Les jeunes sont-ils moins engagés dans leur travail que leurs aînés ?

JOB DE RÊVE Les conditions d’emploi sont une variable déterminante

Nicolas Raffin
Des jeunes startupers en plein brainstorming participatif et disruptif sur le siesting.
Des jeunes startupers en plein brainstorming participatif et disruptif sur le siesting. — Richard Isaac/REX/SIPA
  • L’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) organisait jeudi une conférence sur le thème de l’engagement des jeunes au travail.
  • Loin des clichés, les jeunes sont aussi attachés à la valeur travail que les générations précédentes.
  • Mais les nouvelles formes de travail les conduisent à adapter leur regard.

Certains parlent de générations « Y » ou « Z », complètement connectées à leurs smartphones mais totalement déconnectées du monde du travail. Les « jeunes » d’aujourd’hui seraient moins attachés à leur emploi que leurs parents ou leurs grands-parents, moins prêts à s’investir dans une entreprise, et valoriseraient davantage les loisirs que le labeur. Bref, le « jeune » serait un ovni comparé aux générations précédentes.

Autant de clichés déconstruits par l’Ires (Institut de recherches économiques et sociales) dans sa dernière revue parue en septembre et présentée ce jeudi, à l’occasion d’une conférence. « Lorsqu’on parle du travail, beaucoup de traits négatifs sont associés aux jeunes, explique Julie Bene, chercheuse. Mais plusieurs travaux montrent que les différences entre générations sont finalement assez limitées. Le travail reste une valeur centrale pour les jeunes. »

Des jeunes très normaux

En se basant sur une enquête réalisée auprès de 19.500 jeunes ayant fini leurs études en 2013, Julie Bene remarque en effet que « lorsqu’ils doivent se prononcer sur leur priorité à l’heure actuelle, seulement une minorité (15 %) choisit de la situer en dehors du travail, la grande majorité déclarant qu’elle porte plutôt sur leur vie professionnelle (" trouver ou conserver un emploi stable " ou " améliorer sa situation professionnelle ") ».

De même, l’enquête « Parlons travail » réalisée en 2016 par la CFDT auprès de 200.000 travailleurs, a montré que les jeunes (moins de 27 ans) n’étaient pas si différents des autres. Ils sont aussi nombreux que leurs aînés à « aimer leur entreprise » (63 %), ou à déclarer « prendre du plaisir au travail » (55 %).

Par ailleurs, une enquête de terrain réalisée par Diane Rodet, chercheuse à l’université Lyon-2, s’intéresse aux jeunes travailleurs « engagés » dans le commerce équitable, l’agriculture bio, ou encore les Amap (associations pour le maintien d’une agriculture paysanne). Loin d’être démotivés et de s’éloigner du monde productif, ces jeunes sont au contraire heureux de pouvoir concilier leurs convictions avec un travail qui a du sens.

L’incertitude, nouvelle règle

Tous ces exemples montrent que les jeunes sont très loin d’être des ovnis du monde du travail. Ils possèdent néanmoins quelques singularités, en raison de la structure du marché du travail. « L’installation dans la durée d’un contexte de chômage de masse et de politiques prétendant le combattre par la dégradation des conditions d’emploi (contrats plus courts, statuts moins protecteurs) (…) ont produit une forme de déclassement, affirment les contributeurs de l’Ires. Dans ces conditions, l’incertitude est devenue une norme précocement intériorisée par les jeunes ». De même, le développement de l’auto-entrepreneuriat (livreurs à vélo, VTC, etc) induit aussi un nouveau rapport au travail.

Cette incertitude peut influencer la manière d’aborder son emploi. Dans un récent article du Monde, les sociologues Dominique Méda et Patricia Vendramin indiquent que « les jeunes travailleurs doivent vivre dans le court terme (…) Ils doivent dessiner eux-mêmes leur trajectoire professionnelle. Dès lors, ils n’ont pas la même loyauté envers l’employeur – ce que les salariés plus âgés interprètent comme un déficit de motivation ». Difficile, par exemple, de se donner à fond lorsqu’on sait que son CDD ne sera pas reconduit, ou que les tarifs de la mission demandée sont extrêmement bas.

« Le » jeune, ou « les » jeunes ?

Un autre aspect important doit aussi être pris en compte lorsqu’on parle des « jeunes » et du travail : la multiplicité des parcours. « Avoir 25 ans, des enfants, et plusieurs années professionnelles derrière soi, ce n’est pas la même chose qu’avoir 25 ans et terminer ses études » résume Marc Loriol, sociologue et chercheur au CNRS. Parler globalement « des jeunes » n’est donc pas toujours pertinent.

Illustration avec l’enquête de Julie Bene : « Les jeunes travailleurs les plus précaires valorisent moins la bonne ambiance au travail que des jeunes ayant un emploi stable, relève-t-elle. Ils sont moins sensibles au contenu même du travail, et moins préoccupés par l’équilibre vie pro/vie perso. Pour eux, ce qui est important, c’est d’avoir un travail avant tout. Le fait qu’il soit intéressant est secondaire ». Entre les jeunes et le travail, on est donc bien loin d’un désamour fantasmé.