Guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine: Quelles conséquences pour l’Europe?
NEGOCIATIONS L’Europe a très peu à gagner du conflit en cours entre les deux grandes puissances
- La guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine a franchi une nouvelle étape avec les lourdes menaces qui pèsent sur Huawei.
- L’Europe se retrouve plongée dans un conflit où elle n’a pas son mot à dire.
- Les conséquences économiques pourraient être encore plus grandes si la guerre commerciale touchait directement l’UE.
L’affrontement commercial entre la Chine et les Etats-Unis commence à sérieusement inquiéter les autres grandes économies. Depuis 2018, les deux pays se livrent à une surenchère sur les droits de douane. Le schéma est simple : Donald Trump annonce qu’il taxe un produit exporté depuis la Chine, et cette dernière réplique en taxant à son tour un produit américain.
Le dernier épisode en date a été encore plus significatif, avec l’interdiction faite aux entreprises américaines de fournir (en composants ou en logiciels) le fabricant de smartphones Huawei. Même si un sursis a été accordé par Donald Trump, une telle décision pourrait être très lourde de conséquences d’ici à quelques mois pour les consommateurs qui possèdent un téléphone de la marque chinoise. Ils risquent de se retrouver avec un appareil difficile à mettre à jour. Les futurs modèles seraient même privés des applications Google (Gmail, Maps, etc).
Risques sur le pouvoir d’achat
Cet exemple montre que les tensions commerciales entre les deux grandes puissances mondiales affectent directement l’Europe et la France : environ 20 % des smartphones vendus dans l’Hexagone sont des Huawei. Au-delà de ce secteur, c’est le dynamisme tout entier de l’économie européenne qui se retrouve menacé.
Comme l’expliquait mardi Laurence Boone, cheffe économiste de l’OCDE, « le climat incertain et très délétère pour les investissements, pour la confiance, commence à créer des tensions sur les prix, ce qui, forcément, va commencer à éroder le pouvoir d’achat dans un contexte où les salaires n’augmentent pas très rapidement ». Pas forcément une bonne nouvelle, lorsque l’on sait que la question du pouvoir d’achat est l’une des principales préoccupations des Français.
Des effets difficiles à prévoir
D’autres conséquences du conflit commercial sont aussi à craindre. « Il peut y avoir deux grands impacts pour l’Europe, analyse Philippe Martin, président délégué du CAE et professeur d’économie à Sciences-Po. D’abord, lorsque les Etats-Unis mettent des tarifs contre la Chine, les exportations chinoises se réorientent vers l’UE. C’est quelque chose qu’on a déjà observé dans le passé. Ce serait plutôt négatif pour nous, puisque ce serait une forme de dumping [vente à bas prix de produits afin de conquérir le marché]. »
Le deuxième impact serait plus positif, puisque les produits européens non touchés par les tarifs douaniers deviendraient plus compétitifs. « Potentiellement, l’Europe pourrait exporter plus vers la Chine et les Etats-Unis, poursuit Philippe Martin. Mais cela dépendra des secteurs et ce ne sera pas forcément facile de se substituer aux entreprises chinoises ou américaines. Pour l’instant, on ne sait pas très bien quantifier cet effet. »
Une puissance de négociation amoindrie
Pour se sortir de cette situation, des négociations pourraient s’engager au niveau international. Mais là encore, l’Europe part avec un handicap. « En Europe, chacun essaie de trouver une solution de son côté, remarque Philippe Waechter, chef économiste d’Ostrum AM. Quand Jean-Claude Juncker (président de la Commission européenne) va discuter avec Trump, c’est surtout pour évoquer les voitures allemandes. Il n’y a pas de vrai représentant économique qui porte clairement la voix de l’Europe tout entière. Cela donne l’impression d’une mosaïque d’intérêts ».
Cette incapacité à parler d’une seule voix et à peser n’est pas sans risques. « L’un des scénarios, en cas d’accord bilatéral entre les Etats-Unis et la Chine, c’est que l’Europe soit mise de côté, analyse Philippe Martin. Par exemple, les Chinois pourraient décider d’acheter plus de Boeing et moins d’Airbus. »
L’avenir économique pourrait même s’assombrir davantage si la guerre commerciale touchait directement l’Europe. Selon un scénario élaboré par le Conseil d’analyse économique (CAE) en juillet 2018, dans le cas d’une hausse brutale des tarifs douaniers (qui passeraient par exemple de 3 % à 63 % entre l’UE et les Etats-Unis), la France pourrait perdre jusqu’à 3 points de PIB, « soit une perte annuelle moyenne de 1.125 euros par habitant en France ».